Un alliage instrumental qui dissipe les frontières entre sacré et profane. Dans le registre des reprises du patrimoine musical tunisien, l'un des derniers projets en date est «Alphawin populaire» de Nidhal Yahyaoui. Né en avril dernier d'une résidence artistique, le projet est destiné à la scène du Festival international de Hammamet. Jeudi dernier, il a été proposé au public par l'association L'Art rue, dans son siège à Dar Bach Hamba dans la Médina. L'association célèbre d'ailleurs le Ramadan en musique avec les «concerts du Ramadan» : Mohamed Ben Slama sextet le 23 juin et Lobna Noomen et Mehdi Chakroun le 30 juin. Des événements organisés par l'association L'Art rue en collaboration avec Sybel Light&Sound. Nidhal Yahyaoui, on l'a connu et aimé dans le projet «Bargou 08». Il y a déterré et sublimé le patrimoine de ses origines, les chants de Jbel Bargou à Siliana, en inventant la rencontre entre gasba, zokra (Lassaâd Boughalmi), watar (Nidhal Yahyaoui), batterie (Benjamin Chaval), bendir (Ramzi Maâroufi) et clavier (Sofyann Ben Youssef). La musique maturée dans la maison du grand-père de Nidhal, parmi les habitants de Bargou, a pris la dimension d'une quête essentielle vers la connaissance de soi et d'«une identité sculptée dans les paroles, les mélodies et les danses», qui lui a valu le nom de Front musical populaire. Alphawin populaire est le produit d'une formation et d'une veine différentes. Nidhal Yahyaoui à la distribution, au chant et au watar, Benoist Esté à la guitare, Jihed Khmiri au clavier et à la percussion, Imed Falfoul aux percussions, Amine Ayadi au mézoued, Trappa au sound fx et Haytham Hawachi à la percussion. Des musiciens qui ont excellé malgré le rendu sonore moyen à Dar Bach Hamba, dans une salle fermée qui n'embrasse pas tout à fait l'esprit de ce spectacle où l'on ne peut résister au déchaînement et à la transe. C'est là que Alphawin Populaire se trouve dans la continuité de Bargou 08, dans cet appel à répondre à une musique populaire où l'on se reconnaît tous, corps et âmes. Ce dernier projet va quand même plus loin en puisant, comme sa palette d'instruments l'indique, dans l'univers du mézoued. L'instrument incontournable des soirées de quartier vient également de la lignée des instruments de la Nouba, dédiée aux chants sacrés. Alphawin populaire fait renouer le mézoued avec ces origines en l'intégrant dans des chants liturgiques, comme Sidi Ali Azzouz, Baba Salem ya harrath, Noubet Om Ezzine et Rakeb al hamra. Il lui donne une touche rock en le mettant face à face avec la guitare électrique, pour ce tour du patrimoine soufi de plusieurs villes tunisiennes, plébiscité et revisité par de nombreux artistes tunisiens de différentes manières et à toutes les sauces, et avant eux par les troupes de mézoued qui jouent dans les mariages populaires. Les frontières entre les genres, les styles, le sacré et le profane se dissipent et semblent atterrir dans le territoire commun où toutes les combinaisons instrumentales sont possibles, où une musique née d'un contexte et dans un environnement bien particuliers peut aisément en ressortir pour conquérir des scènes nouvelles et un public nouveau ou initié et acquis. Pour Nidhal Yahyaoui, il en ressort une musique fraîche et détonante qui trouvera sans doute mieux sa place dans le plein air de l'amphithéâtre de Hammamet.