Cette année, il y avait du nouveau : un élargissement notoire de la sélection proposée : des artistes venus d'Afrique, du Maghreb, de France, de Turquie, de Pologne autour d'un thème furieusement d'actualité proposé aux 36 artistes :«3ajel- Le Temps réel» Il est des évènements sur lesquels il faut revenir. Peut-être parce que l'actualité trépidante de ce dernier mois de mai n'a pas permis qu'on s'y arrête suffisamment, mais aussi et surtout parce qu'ils représentent des moments phare dans la vie culturelle tunisienne. L'exposition Talan qui s'achève est de ceux-là. Depuis trois ans, Mahdi Haouas, entrepreneur international doublé d'un mécène, se passionne pour l'art contemporain (que nous avons connu aussi comme ministre du Tourisme). Non pas, comme le font souvent les tycoons de l'industrie ou de la finance, en achetant de l'art, mais davantage comme le feraient les experts, en travaillant sur les «process» de la création. De son initiative est né Talan, c'est en effet le nom à consonance prémonitoire qui s'intéresse à la création de la nouvelle scène artistique tunisienne. Et depuis trois ans, il offre la superbe plate-forme de quelque 800 mètres carrés de ses bureaux, au sein de la zone industrielle de La Charguia, à la galeriste Aïcha Gorgi, et à son talent à elle de «découvreuse». De par la vocation du promoteur, de par le lieu de l'exposition, de par la renommée de Aïcha Gorgi, et le capital de confiance qu'elle a su se créer, l'exposition Talan est devenu un évènement incontournable, mais aussi un lieu où se découvrent ou se consacrent de nouveaux talents. Cette année, cependant, il y avait du nouveau : un élargissement notoire de la sélection proposée : des artistes venus d'Afrique, du Maghreb, de France, de Turquie, de Pologne. Un nouveau commissaire venu accompagner Aïcha Gorgi, Marc Monsallier, dont on croit savoir qu'il connaît bien la scène artistique africaine. Et un thème furieusement d'actualité proposé aux 36 artistes :« 3ajel- Le Temps réel » «Un nouveau monde se dessine de jour en jour. Un monde de l'instantané, de l'immédiat, du ‘' Tout ici, tout de suite''», lit-t-on sur le document de présentation de l'exposition. «Les artistes sont les uniques oracles et vigies des temps modernes. Nous avons besoin qu'ils nous révèlent le sens de ces évolutions. Car jamais nous n'avons été dans cette situation, si paradoxale, d'être autant saturés d'informations, et pourtant à ce point, sevrés de sens». Cette immédiateté et ce vertige, chacun l'interprète selon sa sensibilité, son appréhension, son échelle de priorité. Haythem Zakaria présente sa «mécanique de l'expiation», dix chapelets alignés sur des pignons qui tournent mécaniquement selon un rythme lent et régulier. Le chapelet qui est supposé invoquer le pardon de Dieu est ainsi déshumanisé. Abdoulaye Konaté, le Malien, présente «l'Homme du Sahel» sous un étendard multicolore, allant du noir au blanc, mais effrangé, fait de diversités et de ruptures. Sadok Lamri, l'Algérien, raconte dans son «Ken ya maken» des hommes à la tête pixélisée, prisonniers d'un trop-plein de l'Histoire violente qu'ils affrontent. Une Histoire dont les dossiers non classés, et donc toujours d'actualité, s'entassent dans des cartons à leurs pieds Anne Latreille Ladoux, la Polonaise, restitue le choc des civilisations, celui qui fait se rencontrer dans un même temps, un même lieu, sur les îles grecques, des touristes en vacances, et des migrants rejetés par les flots, en une confrontation surréaliste. Noutayl Belkadhi dont on aime l'humour et la poésie, nous offre l'espoir : une paire d'ailes cinétiques en métal et aiguilles d'acacias, la beauté épineuse du monde, mais tout de même et toujours la possibilité de l'envol. Sadok Rahim, l'Algérien, évoque la dichotomie entre le discours et la réalité : la Turquie, symbolisée par le superbe tapis supposé accueillant aux émigrés, se découpe en bateau, souhait avoué de n'être qu'un passage, ou «geçit», le titre de l'œuvre. Douraïd Souissi photographie le vide, et la solitude sidérale de ces personnages perdus dans le temps et l'espace. Il arrête le temps, le fige, prend du recul, et ces personnages ordinaires semblent se trouver là par le hasard d'une prise de vue. Il est impossible, bien sûr, d'évoquer tous les artistes, mais il est plaisant de s'arrêter sur ceux qui ont su, dans cette course de l'immédiat, retenir une attention toujours sollicitée. Slimen Elkamel est de ceux-là, jeune artiste peu connu qui raconte mille et une histoires dans ses œuvres. Sélectionnant des personnages, découpant des silhouettes, il leur offre un autre « ici et maintenant » que celui auquel ils appartiennent, et donc le don merveilleux de s'offrir une autre histoire, un autre environnement, et peut-être la vie dont ils rêvent.