Les députés ont dénoncé un non-respect manifeste des procédures et les irrégularités constatées depuis l'enquête menée sur la scène du crime jusqu'à l'instruction du dossier par les services du ministère public Après un premier report, s'est tenue hier l'audition des ministres de la Justice, Omar Mansour, et de l'Intérieur, Hédi Majdoub. L'ordre du jour portait sur les deux affaires du leader politique Chokri Belaïd et du député Mohamed Brahmi, assassinés tous deux en 2013. Le ministre chargé de la relation avec le parlement, Khaled Chaouket, était également présent. C'est le président de l'Assemblée qui a donné le coup d'envoi de la séance face à un hémicycle à moitié plein, avec 115 députés. Plus de 94 élus ont signé une pétition pour convoquer les deux ministres d'Etat. Un groupe important qui traverse de facto les clivages politiques, et dont le chef de file symbolique est le Front populaire. Les deux défunts relevaient idéologiquement et politiquement de ce bloc de l'opposition parlementaire actuelle. Les interventions — plus de trente — étalées sur près de quatre heures, se divisent schématiquement en deux catégories : un registre politique partisan; le deuxième de nature technique se fonde sur le droit judiciaire. Qui est le véritable commanditaire ? Des élus de tous bords se sont positionnés sur le registre politique sans tenir compte de l'alliance gouvernementale actuelle. Ainsi des députées comme Fatma Mssedi et Héla Omrane ont réveillé les vieux démons pour mettre « Ennahdha face à ses responsabilités », comme étant l'instigateur des assassinats et leur véritable commanditaire, d'alimenter le terrorisme ou de l'avoir fait par le passé, de diviser les Tunisiens en croyants et incroyants, et d'œuvrer pour que jamais la vérité ne voie le jour. Les élus d'Ennahdha se sont inscrits eux aussi sur le même registre pour renier les charges qui pèsent sur eux. Leurs ténors comme Houssine El Jaziri, Samir Dilou ou Nourredine Bhiri ont pris la parole de manière espacée pour répondre aux florilèges d'accusations. Ils ont dénoncé le statut de coupable d'office et idéal qui leur a été imposé d'emblée. Ils ont mis en avant les pertes politiques qu'ils ont essuyées suite aux assassinats, rappelant qu'ils ont été acculés alors à céder le pouvoir. En priant tout le monde au passage de ne pas interférer dans le cours de la justice. Mongi Rahoui, élu du parti de gauche, Watad, dont le martyr Chokri Belaid était le secrétaire général, a tenu à préciser, en prenant la parole, qu'il a laissé de côté ses fiches qui relèvent les vices de forme entachant toute l'affaire pour dénoncer un état de fait qu'il a constaté lors du déroulement de la séance. En reconnaissant l'importance du parti Ennahdha sur le paysage politique et social, et en invitant tout le monde à pacifier le débat, il a néanmoins invité les députés islamo-conservateurs de reconnaître leur responsabilité politique et morale dans l'instauration du climat de terreur au temps où ils étaient au pouvoir. « Les accusations de « takfir » visant Chokri Belaïd et nombre de figures politiques sont le fait de certains de vos dirigeants », a-t-il tenu à faire valoir, en les priant de reconnaître également les violences perpétrées par les ligues de protection de la révolution qu'Ennahdha protégeait à l'époque. Dans une intervention s'appuyant sur des événements situés dans le temps et dans l'espace, l'élu de l'opposition a tenu pour responsables les dirigeants Nahdaouis dans la prolifération d'associations dites caritatives, financées en réalité par des fonds étrangers. Il les a priés d'admettre, enfin, tous les dérapages dont l'issue dramatique et logique était l'assassinat des deux leaders. Réponses formelles D'autres représentants du peuple qui relèvent de par leur fonction de la famille judiciaire comme Bochra Bel Haj Hmida et Ahmed Seddik, tous deux avocats, ont préféré s'inscrire dans le processus judiciaire et technique. De par leur connaissance du dossier, ils ont dénoncé un non-respect manifeste des procédures et les irrégularités constatées depuis l'enquête menée sur la scène du crime jusqu'à l'instruction du dossier par les services du ministère public. Ils se sont interrogés sur les motifs de l'élimination du rapport balistique du dossier. Les députés ont condamné l'attitude du parquet qui semble instruire une simple affaire de droit commun et non un assassinat politique, alors qu'il s'agit, selon les propres termes d'Ahmed Seddik, du « procès du siècle » qui interpelle la conscience de tout un peuple. Les réponses de l'exécutif sont venues formelles et prudentes. Le ministre de la Justice a tenu à informer la salle pour ce qui concerne l'affaire Belaid, la mise en détention de 16 suspects, 3 sont en liberté et 8 en état de fuite. Les deux ministres se sont évertués à présenter les aspects procéduraux des deux affaires et à ressasser, en réalité, des informations connues de tous. Peuvent-ils procéder autrement ?