Le projet de loi sur la réconciliation économique, mis une seconde fois sur la table à l'Assemblée des représentants du peuple, n'a pas manqué de susciter une levée de boucliers de la part de la société civile qui a intensifié, ces derniers jours, les mouvements sociaux contre cette loi. Voilà que le projet de loi sur la réconciliation économique attise encore une fois les controverses et suscite des réactions de part et d'autre à propos de sa réapparition à cette période critique. Les opposants à cette loi fusent de tout bord, à l'Assemblée des représentants du peuple mais surtout de la part de la société civile. Des associations et des organisations telles que Al Bawsala et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux ont déjà exprimé leur opposition. Une opposition qui s'est transformée en acte de lutte contre la corruption et a mobilisé un bon nombre d'associations tunisiennes pour contrer l'adoption de ce projet de loi. Une campagne a été même lancée sous le nom de «Manich msamah», depuis la publication de la première version de la loi en 2015 et qui a été réactivée actuellement. Des mouvements de protestation sont d'ailleurs prévus dans le cadre de cette campagne. Controverse Entre opposants et adhérents à cette loi — qui est une proposition, rappelons-le, du président de la République Béji Caïd Essebsi —, il convient de s'interroger sur les raisons de cette farouche opposition d'une majorité des acteurs sociaux et politiques. On y voit une tentative de blanchir les «corrompus» de l'ancien régime et de saper le processus de justice transitionnelle. Une justice qui ne pourrait se concrétiser sans la révélation de la vérité sur les détournements de fonds publics et les actes de corruption. Rappelons que l'avant-projet de la loi a été adopté, 14 juillet 2015 par le gouvernement qui l'a soumis au parlement. Mais les dénonciations publiques ont arrêté le débat parlementaire. Le projet a été mis une seconde fois sur la table par la Commission de législation générale à l'Assemblée des représentants du peuple, avec pour consigne du président de l'ARP son adoption avant le début des vacances parlementaires, fin juillet. Mais voilà que la reprise des protestations et des dénonciations pourrait reporter encore une fois l'adoption de ce projet de loi controversé. A noter que la commission parlementaire a déclaré avoir reçu 685 demandes de réconciliation du gouvernement en tant que victime de détournements de fonds publics et 1.800 autres demandes de particuliers, jusqu'au 1er juillet. L'organisation non-gouvernementale internationale «Human rights watch» a attiré l'attention, dans un récent communiqué, sur le fait que la loi mettrait fin aux poursuites et procès en cours et empêcherait des actions ultérieures contre des fonctionnaires et autres représentants de l'Etat pour corruption financière et détournements de fonds publics de quiconque n'aurait pas bénéficié d'un gain personnel. Dénonciation Selon HRW, cette loi annulerait les peines ou arrêterait les poursuites engagées contre des hommes d'affaires ou des représentants gouvernementaux ayant bénéficié personnellement d'actes de corruption financière ou de détournements. L'adoption de la loi autoriserait à négocier un accord de «réconciliation» avec une commission gérée par l'Etat pour rembourser au trésor public les montants spoliés. Une initiative «Ma yetâadech» (Il ne passera pas) a été lancée tout récemment pour mobiliser 24 associations contre ce projet de loi, dont «les principes portent atteinte au processus de justice transitionnelle et aux dispositions de la Loi organique n°2013-53 du 24 décembre 2013 relative à l'instauration de la justice transitionnelle et à son organisation», selon un communiqué de l'initiative, ayant pour but de «lutter ensemble contre toute tentative de porter préjudice au processus de justice transitionnelle et aux droits des victimes». HWR indique également que le projet de loi garantit le secret des informations obtenues des contrevenants qui entrent dans le processus de réconciliation et celui des décisions de l'instance. Ce qui peut entraver, selon l'ONG, la réforme des institutions et le démantèlement du système qui a permis à la corruption de proliférer. Ajoutons à cela que la loi prévoit qu'aucune personne ou aucune instance ne pourra utiliser l'information obtenue «dans le cadre de cette loi à d'autres fins ou dans une autre situation». HWR indique que cet article entraverait l'Instance Vérité et Dignité de remplir sa mission dans l'évaluation de l'ampleur des crimes économiques commis sous le régime déchu. Mais si les raisons de s'opposer à cette loi sont aussi diverses, les arguments de l'autre camp le sont aussi. La réconciliation économique permettrait, selon certains économistes, de sortir notre économie du gouffre, bien qu'elle nécessite plus que cela pour renouer avec la croissance économique. Elle permettrait, également, selon ses défendeurs, de lutter contre la contrebande et l'économie informelle — absorbant 50% du PIB — et de limiter les malversations financières.