L'annonce de la composition du nouveau gouvernement d'union nationale devrait se faire dans une semaine à dix jours. Entre-temps, M. Youssef Chahed, futur chef du gouvernement, consulte à tour de bras. Les partis politiques de la place se taillent la part du lion dans ces consultations. Ce qui n'exclut pas pour autant les organisations nationales, les représentants de la société civile ainsi que des personnalités de divers horizons. Cependant, la tâche de M. Youssef Chahed se complique. Il doit faire avant tout avec les exigences des partis. Ils sont avides de portefeuilles ministériels en fonction de desseins tenus secrets dans l'ensemble. Nida Tounès et Ennahdha veulent avoir la part du lion, notamment au niveau des ministères régaliens, dits de souveraineté. Au niveau du nombre des portefeuilles aussi. Les autres partis signataires dudit Pacte de Carthage ne sont pas en reste. Du moins ceux qui ont approuvé la désignation de M. Youssef Chahed pour chapeauter le nouveau gouvernement. Il s'agit ainsi d'Afek Tounès, de l'UPL, d'Al-Joumhouri et d'Al-Moubadara. Sans compter les partis satellites et secondaires. Après avoir passé une dizaine de jours à consulter les partis politiques, M. Youssef Chahed a voulu retourner la donne. Du moins c'est ce qu'il croit. Ainsi a-t-il demandé aux partis de lui présenter des listes nominatives de personnalités ministrables: «La balle est désormais dans leur camp», m'a-t-il dit lors d'une entrevue récente. Cependant, «cela a tout l'air d'une arme à double tranchant, que je lui rétorque, certains partis s'avisant de présenter des listes de dizaines de personnes». «Je n'en retiendrai que deux ou trois pour chaque parti tout au plus», réplique-t-il. Et il semble sûr de lui. Cependant, si les calculs des uns et des autres se recoupent, cela n'exclut pas le télescopage. M. Youssef Chahed compte bien composer un gouvernement «de dix-huit ministres tout au plus», m'a-t-il assuré. Combien d'entre eux auront une casquette partisane ? «Neuf ou dix», répond-il en affichant la mine d'une personne sûre d'elle-même. Et d'ajouter : «Je ne subirai en aucun cas le diktat et les caprices des partis politiques». Du coup, les places sembleraient rares. Et surtout chères. Nida et Ennahdha en sont réduits à arbitrer, le plus souvent douloureusement. Les postulants sont légion. Et chacun se voit ministrable. À satiété et en toute modestie. Idem pour les autres partis politiques concernés. Chacun veut en être. Et défend ses «droits» mordicus, bec et ongles. On se l'imagine. Il y a foule au portillon du gouvernement. Et on y joue des coudes et des hanches pour une place au soleil. La posture de Youssef Chahed n'est guère détendue. Il peut bien afficher à tout vent sa volonté de ne pas obéir au diktat des partis. Mais l'investiture de son gouvernement en dépendra, précisément lors du vote de confiance au Parlement. C'est dire s'il marche sur le fil du rasoir. A ses risques et périls. Souvenons-nous. Son prédécesseur, M. Habib Essid, avait dû revoir la première copie de son gouvernement. Youssef Chahed dispose d'un mois pour former son cabinet. Autrement, il devra rendre le tablier. Plus il retarde l'annonce de la composition du gouvernement, plus la pression pèsera sur ses épaules. Au risque de devoir faire avec le diktat et les caprices des partis. Le système démocratique est le moins mauvais de tous les régimes politiques. Certains travers lui sont immanents, quoi qu'on en dise. A société politique faible, démocratie faible. Surtout s'il s'agit d'un régime parlementaire hybride et éclaté. Tel le nôtre. M. Youssef Chahed gagnerait à le savoir. Depuis la révolution de 2011, tout a été fait pour affaiblir l'Etat, le plein jeu des institutions, la règle de droit. Il en résulte un système par essence imparfait et fragile, fondé sur les marchandages perpétuels et les équilibres catastrophiques. Dès lors, être aux commandes de l'exécutif s'apparente bien à un exercice de contorsionniste sur fond de cadeau empoisonné. Notre pays ressemble à bien des égards à l'Italie. Nos institutions aussi. Souhaitons qu'on n'en arrive pas à dire le plus communément du monde, comme les Italiens : «Ça va même lorsqu'il y a un gouvernement».