Par Slaheddine GRICHI Il se targue d'avoir été prématurément éjecté de l'école, nargue les diplômés et les détenteurs d'un certain savoir, se prévaut d'être une «star» qui a son audimat et ses inconditionnels et exhibe fièrement un CV vide côté académique, mais drôlement fourni côté parcours professionnel et distinctions. Car le bonhomme ne manque pas de talent, un talent qui se révèle quand il est bien dirigé, comme le fit Nouri Bouzid dans «Making off», ce qui lui valut le prix du meilleur acteur dans une session des Journées cinématographiques de Carthage lui conférant par là-même un début de notoriété qui est allée crescendo grâce à une présence quasi-constante à la télévision et au cinéma et grâce, surtout, à un one man show qui a frappé, bien que le pseudo humour et l'audace y soient largement dominés par les vulgarités et les insanités. Absence de discernement Le succès qu'il a recueilli auprès d'une partie du public avide de gags et de lynchage de personnalités publiques et de représentants de l'Etat, longtemps intouchables, lui est monté à la tête, au point de donner l'impression qu'il se croit devenu lui-même intouchable et qu'il peut tout se permettre, sur scène comme sur les plateaux de télévision. La semaine dernière à Carthage, tel une locomotive folle qui a perdu son mécanicien, il a foncé dans le tas, brûlant les voyants rouges, piétinant les moindres règles de la bienséance et du respect de l'Autre, multipliant les allusions de ruisseau, les diffamations et les insultes gratuites, agressant les oreilles les moins chastes. Dégoûtant... Dégoûtant et indigne pour le prestigieux théâtre romain de Carthage, cette citadelle de l'art qui a peut-être connu sa pire soirée, tant l'anti-Art l'a souillée. Et qu'on n'évoque pas la liberté d'expression à propos de cette nuit noire ; on réduirait en cendres cette noble valeur... Encore plus pour quelqu'un qui a «éhontement» profité de la scène et du micro pour offenser des gens qui ne pouvaient se défendre et pour prendre en otage une assistance, devenue malgré elle, complice. Ce qu'a commis cet inconscient est innommable, mais au fond peut-on le condamner exclusivement, quand on sait le parterre d'auditoire qu'il a eu où se mêlaient responsables politiques, représentants du peuple qu'on voit rarement — ou pas du tout — dans d'autres spectacles, d'une qualité toute différente? Car, à dire la vérité, il n'a fait que répéter une prestation rodée, en poussant davantage le bouchon. Et, de ce fait, ils n'ont eu que ce à quoi ils s'attendaient ou devaient s'attendre. Il est enfin à relever que les mots orduriers semblent avoir envahi tout le secteur du théâtre cette saison, où des créateurs, autrement plus intelligents, plus cultivés et plus raffinés sont tombés dans la provocation et le trivial, croyant être dans le transgressif de la communication... de la parole. Or, entre les deux champs, il y a des... spectateurs, souvent manipulables et enclins à tomber dans la facilité et, un moment, à l'apprécier. En bref, dans l'art créatif, on ne désigne pas toujours les choses par leurs noms. Trop aisé...