Gens du cinéma et des lettres se donnaient rendez-vous ce week-end à Sayada à l'occasion des premières «Rencontres audiovisuelles Tahar-Cheriaâ». Emouvant hommage posthume à un des valeureux fils de la région, militant de la culture nationale, et débat, en la circonstance, autour d'un thème qui avait longtemps ponctué son parcours et son œuvre: les relations (dialectiques, problématiques) un 7e art et de la télévision. Evocation, réflexion : on ne pouvait mieux choisir pour se rappeler au bon souvenir du grand disparu. La perte de Tahar Cheriaâ, garde toute sa lancinance dans les cœurs. On l'a perçu à travers les différentes interventions de responsables, de compagnons de route, de disciples et autres témoins. Le sentiment unanime était que l'on célébrait davantage qu'un pionnier du 7e art, en Tunisie, dans le monde arabe et en Afrique, mais un citoyen exemplaire et un patriote modèle, de cette espèce d'hommes que l'on a plus que jamais intérêt à perpétuer de nos jours, qui savait si bien concilier vocation personnelle et amour inconditionnel du pays. Car il faut bien en avoir conscience, vu d'ici et de maintenant; à ses débuts dans l'action culturelle, Tahar Cheriaâ avait largement le choix, entre un succès «solitaire» parmi l'élite, et il en avait le talent et la stature, et un combat difficile et improbable pour un idéal collectif. Il n'avait pas hésité à opter pour la voie la plus difficile, celle parsemée de contrariétés et d'embûches, qui lui valut jusqu'à l'abandon et l'exclusion. Cet esprit de sacrifice, de déni de soi, au profit de l'intérêt général, de l'essor de la culture et des arts et, en droite conséquence, du progrès et du développement du plus grand nombre, est l'enseignement majeur que nous laisse Tahar Cheriaâ. Il n'était, certes, pas le seul dans son cas. D'autres, en divers autres domaines, payèrent cher d'eux-mêmes pour contribuer à l'éveil d'un peuple et à l'édification d'une nation nouvelle. Et d'autres encore les auront suivis. Il n'empêche que les temps ont changé. Nous vivons une époque d'individualisme rampant, de recul des idéaux et des valeurs, la mondialisation vient ajouter à cette exacerbation des ego, prenons-y bien garde, le moment, au contraire, est à l'effort solidaire et à la préservation des acquis communs. La mémoire des fondateurs et des bâtisseurs peut y aider. Et celle de Tahar Cheriaâ à plus d'un égard. C'était la leçon et le sens de ces premières «Rencontres audiovisuelles Tahar-Cheriaâ» de Sayada. A contre-courant Que retenir du débat ? Le point le plus brûlant peut-être : ce mal que l'on a, au fil des années récentes, à associer cinéma et télévision dans un objectif unique de développement culturel. Le problème concerne, en fait, tous les arts. La télévision se commercialise et se banalise, Mustapha Attia (dans sa communication inaugurale) a cité les propos d'Arthur Miller qui avait conclu, depuis longtemps, que la télévision est «foncièrement» née pour satisfaire aux larges audiences, donc au besoin du divertissement populaire, et non point à un besoin de culture. Difficile, dans ces conditions, de la mettre en rapport de cohérence avec ce qu'est la nature du 7e art, et encore plus, a précisé Mustapha Attia, avec les préoccupations esthétiques et discursives de la littérature et de l'écriture en général. Difficile est sans doute peu dire. Ce que nous proposent, de façon en toute apparence irréversible, les télévisions d'ici comme d'ailleurs, va même à «contre- courant» : des musiques sans ancrage et sans contenu, des «jeux d'appât», des télé-réalités à la limite du trivial, des infos à sensation, des surdoses publicitaires, des compétitions outrancières d'audimat. Qui plus est, les satellitaires se comptent par milliers. Un conditionnement planétaire «par le bas», une sorte d'entreprise universelle de «déculturation». Tahar Cheriaâ rêvait à l'évidence de toute autre chose. Il voyait dans la télévision un support idéal pour la propagation des arts (du cinéma en particulier) à l'échelle de populations entières. Il fondait beaucoup d'espoir sur l'apport de la littérature et de l'écriture à la création télévisuelle. C'était son nouveau combat, après celui des JCC et de l'avènement de l'Afrique dans le concert de la cinématographie mondiale. Avant de tirer sa révérence, il devait certainement nourrir de justes craintes. Mais il nous aura légué aussi ce désir qu'il avait toujours en lui, de ne jamais céder devant les obstacles, quelles que soient leurs difficultés et leurs dimensions. Il en avait franchi de bien prohibitifs. Il avait foi en ce qu'il faisait. C'est ce qui manque peut-être (sans doute), aujourd'hui, aux acteurs de l'audiovisuel tunisien.