Par Jawhar CHATTY Il y a une année, jour pour jour, le grand amphithéâtre de la BCT faisait une haie d'honneur à Christine Lagarde. Ce jour-là, la directrice générale du FMI était venue nous rappeler au souvenir de deux de nos grands hommes : Aboul Kacem Chebbi et Ibn Khaldoun. Le premier a porté à incandescence, tel un fil lumineux, cette volonté du peuple qui force le destin de répondre. Le second a fait de la «cohésion sociale» à la fois le point de force qui légitime le pouvoir des dirigeants et le catalyseur du développement. Mais Mme Lagarde n'était pas venue à Tunis pour seulement nous jeter des fleurs. En citant Ibn Khaldoun et Aboul Kacem Chebbi, elle cherchait aussi à nous convaincre qu'il revient à nous seuls de devoir de nouveau « forcer le destin de répondre » et que pour ce faire, il nous faudrait accepter quelques vérités, fussent-elles amères : 1. la dérive des finances publiques ne pourra plus durer. 2. La masse salariale en Tunisie représente 13% du PIB, taux considéré comme l'un des plus élevés dans le monde. 3. D'où l'impérieuse nécessité d'un budget qui accroît les dépenses d'investissement et non plus les dépenses de fonctionnement. 4. La Tunisie doit, également, achever la réforme du système fiscal pour être plus équitable, et ce, en réduisant à court terme l'écart entre les taux d'imposition. De même, elle doit s'orienter vers un système financier solide et efficace, avec un système bancaire moderne et compétitif et en favorisant le développement de la finance directe....Qu'est-ce qui a été fait depuis ? Poser ainsi la question, c'est évidemment y répondre, il serait même difficile, voire impudent, d'oser imaginer Christine Lagarde tenir aujourd'hui à notre égard le même discours flatteur et quelque peu indulgent que celui qu'elle avait tenu le 9 octobre 2015 à la BCT ! En 2014 , la masse salariale était de 10.5 milliards, en 2017, elle s'élèverait à 15 milliards, soit une augmentation de plus de 50% en trois ans. Une première dans le monde. Aujourd'hui, la centrale syndicale persiste à formuler son refus de la proposition du gouvernement de reporter les augmentations salariales. Pourtant, tel qu'il a été présenté par le gouvernement, un tel report n'aura pas d'impact sur les salaires et le pouvoir d'achat des salariés. Il faut dire aussi que le gouvernement a par ailleurs tenu à ce que le projet de loi de finances 2017, avec ses divers scénarios, soit partagé avec les partenaires sociaux avant l'adoption du texte final qui sera présenté avant le 15 octobre à l'ARP. Cette démarche participative a le mérite de mettre chacun face à ses responsabilités et de rappeler aux signataires du document de Carthage l'esprit et toute l'ambition qu'avait porté l'initiative du président Caïd Essebsi relative à la formation d'un gouvernement d'union nationale. Cette démarche a également le mérite de nous inviter à relativiser certaines prises de position et à nous poser des questions toutes simples. Quel est le bien-fondé des tentatives de diabolisation des institutions financières et monétaires internationales ? Quel crédit accorder à ceux qui voient partout la main invisible et malicieuse du capitalisme mondial sauvage ? Au lieu de s'indigner du diktat du FMI et de la Banque mondiale, et à supposer que ce diktat soit si pesant, ne serait-il pas bien plus approprié de nous indigner du fait que nous continuons à nous entêter à tout faire pour être en plein point de mire de ces institutions ? Au-delà de l'indignation, il nous faut à présent regarder la réalité en face : nous avons aujourd'hui besoin du soutien du FMI, à défaut de quoi le risque pour le pays d'un scénario grec devient bien réel. Un NON du FMI impliquera deux risques pour la Tunisie : 1- Celui de voir les autres bailleurs de fonds s'aligner et suivre la position du FMI et donc un assèchement de liquidités extérieures. 2- Celui de voir la prime de risque sur la Tunisie (Spread) flamber. Ces deux risques ne se limiteront de surcroît pas à l'exercice 2016, mais vont également peser sur l'exercice 2017... Le gouvernement tunisien œuvre actuellement à obtenir du FMI une 2e tranche pour le financement du budget de l'Etat après avoir obtenu une 1ère tranche d'une valeur de 319,5 millions de dinars au titre du mécanisme élargi de crédit portant sur un montant de 2,9 milliards de dollars. Un refus du FMI vaudra à la Tunisie d'être à l'image d'une Grèce sans le soutien de l'Union européenne... Face à une si sombre perspective, il y a fort à parier que le sens de la responsabilité l'emportera.