La polémique qu'on redoutait tant s'est bien installée : la gestion des fermes de l'Etat par ceux qui les ont squattées doit-elle être tolérée par le gouvernement ? Et si l'exemple de Jemna faisait des émules dans d'autres régions ? Quand on parle d'économie solidaire, il nous revient automatiquement à l'esprit la fameuse expérience de l'autogestion appliquée dans les années 60, 70 et 80 du siècle précédent en Yougoslavie, à l'époque où la fédération des Républiques yougoslaves était présidée par le maréchal Joseph Broz Tito. Sauf qu'à cette époque, les ouvriers qui géraient eux-mêmes les entreprises où ils exerçaient le faisaient sous la supervision des autorités étatiques et leur rendaient les comptes qu'il faut quand des dépassements ou des dérives venaient à se produire. En Tunisie et à la faveur de l'éclatement de l'affaire «Henchir Maâmar et Stil» à Jemna (gouvernorat de Kébili), on a découvert qu'il existe une association qui pratique l'autogestion depuis 2011, gère le domaine à sa façon, et construit les salles de classe, les dispensaires, les salles de sport et rénove les postes de police et de la Garde nationale en utilisant les rentrées d'argent provenant de l'exploitation de Henchir Maâmar sans que les autorités locales n'interviennent ou n'y voient le moindre signe d'une exploitation abusive et illégale de quelques centaines de terres domaniales dont la propriété revient à l'Etat. Il s'agit de l'Association de protection des oasis de Jemna qui gère le domaine depuis 2011 et qui vient d'organiser, dimanche dernier, une opération de vente aux enchères de la récolte dattière du domaine ayant rapporté un million 700 mille dinars, et ce, en dépit d'un jugement en référé rendu, le 15 septembre dernier, par le Tribunal de première instance de Kébili, interdisant la vente en question et considérant que la palmeraie «Henchir Maâmar» est la propriété de l'Etat et que l'Association de protection ou d'exploitation des oasis de Jemna n'a pas de qualité juridique l'autorisant à organiser la vente aux enchères qui a eu lieu dimanche dernier. Pour le secrétariat d'Etat aux Domaines de l'Etat et aux Affaires foncières, dirigé par Me Mabrouk Kourchid, qui considère que sa principale préoccupation est bien la récupération des biens de l'Etat squattés par les citoyens depuis la révolution, «laquelle récupération pourrait renflouer les caisses vides de l'Etat». Les choses sont claires : la vente aux enchères de la récolte de Henchir Maâmar n'a pas de valeur légale. Dans une déclaration dont une copie est parvenue à La Presse, le secrétaire d'Etat aux Domaines de l'Etat et aux Affaires foncières affirme : «Le secrétariat d'Etat est parvenu à récupérer plusieurs milliers d'hectares de terres domaniales squattées à Medjez El Bab, Testour et à Douz (Henchir Traifia) et il est inadmissible qu'un groupe de personnes ou qu'une partie politique mette la main sur les biens de l'Etat pour n'importe quel motif». Les partis politiques s'invitent à la polémique Comme prévu, les partis de l'opposition, suivant à la loupe ce qu'ils appellent les erreurs du gouvernement Youssef Chahed, n'ont pas tardé à s'inviter à la polémique : faut-il arrêter l'expérience de l'Association de protection des oasis de Jemna et la considérer comme contraire à la législation en vigueur ou au contraire l'encourager et demander à ce qu'elle soit étendue à d'autres régions du pays où plusieurs fermes de l'Etat sont livrées» à elles-mêmes depuis la révolution ? Du côté d'Ettakatol dirigé par le Dr Mustapha Ben Jaâfar, ancien président de l'Assemblée nationale constituante (ANC), «il faut poursuivre cette expérience unique, la consolider et l'étendre à d'autres régions de manière à consacrer la décentralisation économique sociale solidaire». Quant à Nida Tounès, il adopte une approche totalement opposée à celle d'Ettakatol. Son groupe parlementaire (désormais la région parlant au nom du parti) a qualifié, hier, la vente de la récolte de «henchir Maâmar et Stil» de «violation criante des biens publics». Il considère également que l'association incriminée» s'est approprié illégalement les biens de l'Etat, qu'elle n'est pas habilitée juridiquement à les gérer». «Le gouvernement doit faire respecter l'autorité de l'Etat et sévir contre les contrevenants. La peur est réelle de voir d'autres régions suivre l'exemple de Jemna et de voir l'anarchie et le chaos s‘installer dans l'ensemble du pays». De leur côté, Samia Abbou (courant démocratique) et Zouheïr Maghzaoui (Mouvement Echaâb) n'ont pas raté l'occasion pour débiter leur discours habituel qui se fonde sur une litanie qui ne convainc plus personne : «Le gouvernement n'offre rien aux Tunisiens et fait tout pour empêcher ceux qui prennent l'initiative de voler de leurs propres ailes».