Dans ce documentaire, il faut mériter l'histoire de Hassan pour la connaître. Coup de cœur de la compétition officielle, «Mazraât al abkar» est un film qui teste le spectateur doublement. Il est d'abord programmé à la fin des JCC où le public est moins nombreux, et puis il fait partie de ces films qui vous lancent le défi de le voir jusqu'au bout. Ceux qui sont restés au Colisée vendredi soir ne l'ont pas regretté. Le jeune syrien Ali Chaykh Khedher livre un documentaire fort en émotion, avec une écriture d'une grande maturité. En 2010, il voulait faire un film sur sa famille, explique-t-il en voix-off au début, et il a fini par se focaliser sur un seul personnage, celui de son cousin Hassan. Filmé en gros plan où en train de travailler dans sa ferme de vaches — d'où le titre du film —, Hassan a beaucoup de choses à dire. Son cousin et sa caméra sont attentifs, lui donnent la parole et l'image librement. Drôle, fort de caractère, fantaisiste, philosophe sur les bords, le personnage de Hassan va peu à peu prendre du volume. Cela prend un bon moment et c'est sans doute ce qui a été répulsif pour de nombreux spectateurs. Mais dès le début déjà, il y avait des signes d'un quelque chose qui va venir, qui va arriver, et qu'il faut savoir attendre. Ali Chaykh Khedher finit par le dire à la fin de la partie «introductive» de Hassan. «Au bout d'un moment, j'ai posé ma caméra et j'ai attendu», révèle-t-il encore dans le film. Et voilà qu'en 2011 la Syrie connaît la révolution. Et là, la motivation pour filmer Hassan est plus forte, car le réalisateur s'intéresse à la vie des individus, aux gens ordinaires dont le quotidien est lié à la terre, qui sont pour lui les vrais patriotes et les réelles victimes de la guerre, comme il l'a expliqué lors du débat qui a suivi la projection. Le montage réalisé par Ali Chaykh Khedher de ses rushs va faire de Hassan un véritable symbole, un personnage qui cristallise toutes les contradictions du syrien que la guerre a dévoilées. Il y a dans Hassan le dictateur et la victime, le rêveur et le réaliste, le dur et le sensible. La réalité du pays lui fait vivre sur le plan psychologique les douze travaux d'Hercule. Incompris, mal aimé, il finit par sombrer dans une peur aliénante et puis dans le désespoir. Et finalement, il faut mériter l'histoire de Hassan pour la connaître. Un film dont on sort bouleversé après une chute inattendue, un nœud dans la gorge, le cœur lourd et songeur sur l'absurde condition du monde, mais un film traversé par la beauté de l'art cinématographique, fait avec zéro budget et une petite handycam. Un cinéma comme on voudrait en voir plus dans cette compétition.