Pressé par les délais constitutionnels, le CSM a été astreint à prêter serment, amputé de son président de la Cour de cassation, lequel aurait dû être nommé par décret par le président de la République avant la date butoir L'Association des magistrats tunisiens lance un cri d'alarme. Hier dans l'univers très particulier du palais de Justice, au cœur de sa poussiéreuse bibliothèque, l'Association des magistrats tunisiens (AMT), a convoqué une conférence de presse à 10h. Raoudha Karafi, la présidente, épaulée par le vice-président Anas Lahmidi, ont tenu à prendre à témoin l'opinion publique pour l'alerter sur les graves menaces qui pèsent sur le Conseil supérieur de la magistrature, CSM, fraîchement mis en place, ainsi que sur le principe de la séparation des pouvoirs. Les faits tels que présentés : mercredi, 14 décembre 2016, les membres du Conseil de la magistrature avaient prêté serment devant le président de la République, en présence du ministre de la Justice. Or, précise la magistrate, pour que l'assermentation soit conforme aux dispositions, il aurait fallu combler les postes vacants des hauts magistrats partis à la retraite au début du mois en cours, à l'instar du président de l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire, président de la Cour de cassation. « Pour que le CSM puisse siéger, atteste Mme Karafi, des conditions doivent être remplies. Sa mise en place n'étant pas assurée uniquement par la nomination des membres élus, selon l'article 112, la composition comprend 2/3 de magistrats élus par leurs pairs ou désignés ès-qualités, et 1/3 de membres indépendants. Mais c'est loin d'être suffisant, a-t-elle soutenu. Le président de l'Instance judiciaire est le seul compétent à convoquer une première séance du CSM. Certains groupes font déraper, a-t-elle encore fustigé, l'ensemble du processus pour nous ramener à la case départ où le pouvoir judiciaire était subordonné à l'autorité de l'exécutif et au pouvoir politique». Les grandes manœuvres Ce que Raoudha Karafi essaye de dire, en usant de phrases alambiquées, conjuguées à la troisième personne du pluriel et associées à des adjectifs indéfinis, — ils, plusieurs, certains — que le premier président de la Cour de cassation, lui-même président de l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire, Khaled Ayari, est parti à la retraite, début décembre, alors que la prolongation de son mandat faisait l'objet de consensus. Un retournement de situation brusque et inexpliqué. Pressé par les délais constitutionnels, le CSM a été astreint à prêter serment, amputé de son président de la Cour de cassation, lequel président aurait dû être nommé par décret par le président de la République avant la date butoir. Le haut magistrat Khaled Ayari, dont la date de départ à la retraite était connue de tous, — aucun accident n'est survenu pour prendre au dépourvu tout le monde —, aurait dû être remplacé avant cette échéance ultime. Rien de tel n'a été fait. Sans président de la Cour de cassation appelé à présider le CSM et sans procureur général près la Cour de cassation, le CSM n'aurait pas dû prêter serment, et par voie de conséquence n'est pas habilité à tenir sa première séance. Outre cet imbroglio juridico-politique, Karafi est également montée au créneau contre « ceux » qui s'opposent à l'accès des femmes aux postes de la haute hiérarchie judiciaire. Une candidate est pressentie pour être nommée présidente de la Cour de cassation, qui aurait été une première dans le monde arabe, mais des « parties » s'y opposent fermement en manœuvrant pour lui barrer la route. Encore une fois, des postes de pouvoir qui se situent au sommet de la pyramide judiciaire font l'objet de marchandages entre les partis politiques, chacun préparant un candidat sous le coude. Et encore une fois, les luttes de clans politiques détachent de leurs cadres légaux des processus institutionnels et démocratiques pour les frapper d'irrégularité. Résultat, le Conseil supérieur de la magistrature, sur lequel se portait l'infini espoir de garantir l'indépendance et l'impartialité du système judiciaire, vient de subir ni plus ni moins une naissance avortée.