« Fini le temps où l'on cachait nos problèmes ! », a déclaré hier le chef du gouvernement Youssef Chahed en reconnaissant que les Tunisiens font partie de ces peuples où il y a un problème de racisme latent. C'est pratiquement la première fois qu'un responsable politique de haut rang reconnaît sans ambiguïté l'existence de la discrimination en Tunisie et la nécessité de la combattre à la fois par la législation et la sensibilisation C'est en s'exprimant lors d'un évènement à l'occasion de la célébration de la Journée nationale contre la discrimination raciale, organisée par plusieurs acteurs de la société civile, que le chef du gouvernement a appelé les députés à accélérer l'examen du projet de loi criminalisant la discrimination raciale. « Ce projet de loi élaboré par la société civile est un pas positif vers la criminalisation du racisme », a-t-il déclaré, tout en demandant aux élus de faire en sorte que, dans les cas d'agression, le racisme soit une circonstance aggravante. « Outre le volet juridique, nous devons combattre le racisme par la sensibilisation dans les médias, dans les milieux éducatifs et professionnels », a déclaré Chahed devant un auditoire composé de militants de la société civile et de personnalités politiques et artistiques. De son côté, le ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l'Homme, Mehdi Ben Gharbia, a appelé à « briser le mur du silence et à incriminer toutes les formes de discrimination raciale en Tunisie ». « La lutte contre la discrimination raciale est un combat qu'il faut mener tous les jours, explique Lorena Lando, chef de mission de l'Organisation internationale pour la migration. La Tunisie a signé la convention de 1951, il y a un projet de loi aujourd'hui en Tunisie, simplement il faudrait que son examen avance à l'ARP, il ne doit surtout pas rester dans les tiroirs ». L'urgence d'une loi contre le racisme Le 14 juin 2016, le réseau Euromed des droits de l'Homme, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux et le Comité pour le respect des droits de l'Homme ont présenté un projet de loi « consensuel » de 36 articles qui a été signé par l'ensemble des groupes parlementaires de l'Assemblée. « Jusqu'à présent, le texte n'a pas été soumis à la commission compétente », regrette Ramy Salhi, directeur Maghreb du réseau Euromed des droits de l'Homme. Cette année, la Journée nationale contre la discrimination raciale coïncide avec un fait divers qui a choqué l'opinion publique, celui de l'agression de deux étudiantes congolaises. « Aujourd'hui, avec les attaques multiples que subissent les Noirs en Tunisie, le projet de loi devient une urgence extrême, martèle Ramy Salhi. J'ai appelé aujourd'hui le chef du gouvernement et les députés à adopter le projet de loi et à le mettre en œuvre. Nous espérons que 2017 sera l'année où une loi antiracisme sera adoptée au parlement ». Même si les militants des droits de l'Homme dénoncent des centaines d'actes racistes par an en Tunisie, il n'existe aucune statistique fiable permettant d'évaluer le phénomène. « J'appelle d'ailleurs les acteurs de la société civile à mettre en place un observatoire qui énumère l'ensemble des agressions racistes en Tunisie », a précisé Ramy Salhi qui se déclare satisfait que le chef du gouvernement reconnaisse l'existence de ce phénomène raciste en Tunisie. « Nous attendons cependant des actes », tempère-t-il. Hier, plusieurs associations de la société civile ont signé un communiqué dans lequel elles réitèrent leur condamnation de l'acte d'agression raciste dont ont été victimes samedi deux jeunes femmes et un homme congolais. Les associations demandent également à ce que le parlement adopte, le plus rapidement possible, le projet de loi contre la discrimination raciale. « En l'absence d'une loi criminalisant les actes racistes, les juges tunisiens ne peuvent octroyer le droit de prendre en considération le caractère raciste des violences », explique Omar Fassatoui, officier des droits de l'Homme. Autrement dit, si la loi n'est pas votée, le racisme ne sera pas retenu comme circonstance aggravante, dans le cas de l'agresseur des étudiants congolais.