La société civile et les représentants du peuple appellent à l'instauration d'une loi pénalisant les agissements raciaux La dénégation du racisme constitue le principal obstacle entravant la lutte contre la discrimination raciale en Tunisie. Exprimer une intolérance non fondée par des agissements humiliants à l'encontre des personnes de couleur va au-delà des seuls incidents pour traduire une mentalité de stéréotypie et de ségrégation bien ancrée au fil des générations. Et bien que la Constitution réprouve la discrimination, aucun texte juridique ne condamne ni ne pénalise le racisme. Aussi, et à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre la discrimination raciale, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (Ftdes), le Réseau euroméditerranéen des droits de l'Homme (EuroMed Droits) et le Comité pour le respect des libertés et des droits de l'Homme ont-ils organisé, hier, au siège du Ftdes à Tunis, une conférence de presse pour inciter les décideurs et les législateurs à instaurer une loi contre le racisme et les discriminations raciales. Ouvrant le point de presse, M. Rami Salhi, représentant d'EuroMed Droits, a souligné la gravité du phénomène dans une société qui a tendance à le refouler et à le nier. Dans notre pays, le racisme porte atteinte aux Tunisiens et aux étrangers, aux vivants comme aux défunts. Et bien que la Tunisie ait été pionnière dans le monde arabe à avoir aboli l'esclavage en 1846, et qu'elle ait été parmi les premiers signataires de la convention internationale de l'éradication de toute forme de discrimination raciale en 1967, le racisme transparaît dans notre langage, dans nos agissements et jusque dans les papiers administratifs. « Dans certains certificats de naissance de personnes de couleur, l'on continue jusqu'à nos jours à mentionner le terme Atig de telle ou telle personne, en référence au statut d'esclave. Dans les régions du sud, il y a des bus pour Blancs et d'autres pour Noirs. Pis encore, poursuit l'orateur, à Djerba, il existe deux cimetières : un pour les Blancs et un pour les Noirs, d'où une discrimination raciale confirmée même envers les défunts ». Un avis que partage M. Massaoud Romdhani, du Ftdes. Il saisit l'opportunité pour insister sur le rôle de la société civile dans la lutte contre les discriminations raciales. En Afrique du Sud comme aux Etats-Unis d'Amérique, les militants pour les droits de l'Homme avaient mené un combat sans merci contre la ségrégation; un parcours de longue haleine qui a fini par porter ses fruits. Nelson Mandela était le premier président noir de l'Afrique du sud. Barack Obama est le premier président des USA d'origine africaine. M. Romdhani pointe du doigt les pratiques raciales qui continuent à envenimer la vie aux personnes de peau foncée. « Les termes comme oussif, ou encore abid, qui signifient esclave, continuent à être utilisés pour désigner des Tunisiens et des étrangers de couleur. Et l'on ose, par-dessus le marché, dénier le racisme ! Il est temps d'instaurer une loi condamnant et pénalisant la discrimination raciale tout comme il est temps pour la Tunisie d'honorer ses engagements internationaux et de se conformer aux conventions qu'elle a adoptées depuis des décennies », dit-il. Et d'ajouter que la Tunisie ne sera pas pionnière dans le monde arabe en matière de pénalisation du racisme, car devancée par les Emirats arabes unis, la Jordanie et l'Egypte. Les Tunisiens : des seigneurs gentils et des esclaves dociles ! Mme Saâdia Mosbah, présidente de l'Association « M'nemti », dénonce sur un ton aigre l'indifférence des politiciens et des décideurs quant à la scandaleuse hiérarchisation des personnes à partir de leur couleur de peau. Elle trouve, en effet, que l'Etat contribue au racisme en fermant l'œil sur les actes discriminatoires. « En voulant me rendre à la Gousba, dans le sud, j'ai été interdite par un agent de l'Etat. Il m'a dit : Ici, nous vivons sereinement, entourés de seigneurs gentils et d'esclaves dociles » », rapporte-t-elle, exaspérée. Elle ne manque pas, aussi, d'attirer l'attention sur un exemple pinçant. Souvenons-nous de Choukrane, la petite fille âgée de neuf ans qui a été victime de violence verbale raciste, infligée par son institutrice. « Choukrane a fait deux tentatives de suicide. Elle n'a pas été soutenue ni par l'opinion publique ni par l'Etat », dénonce Mme Mosbah. Elle insiste sur l'impératif d'impliquer les personnes de couleur dans l'élaboration du projet de loi sur le racisme. Pas la moindre réserve M. Mohamed Fadhel Ben Omrane, député représentant le parti Nida Tounès, salue l'initiative de la société civile. La lutte contre le racisme représente un point de convergence de tous les partis et de tous les Tunisiens. Aussi, il ne peut y avoir de réserve contre une loi pénalisant la discrimination raciale. De son côté, M. Karim Helali, député représentant le parti Afek Tounès, dénonce le vide juridique, lequel ne peut qu'encourager à la perpétuation des actes racistes. Quant à M. Iyed Dahmani, député représentant les démocrates, il insiste sur l'indispensable aveu du racisme; une étape qu'il juge capitale pour parvenir à changer les choses, notamment la loi et les mentalités. « La révolution est, avant tout, une révolution de principes et d'éthiques », conclut-il. Un racisme institutionnalisé De son côté, Mme Amina Soudani, membre de la société civile, condamne la marginalisation préméditée des personnes de couleur de la vie collective, du paysage médiatique et artistique. « Le racisme en Tunisie est un problème d'éducation et de mentalité par excellence. Il prend de l'ampleur et devient même un problème institutionnalisé. Les personnes de couleur subissent toute sorte de violence raciste sans pour autant réussir à la prouver », fait-elle remarquer. En 2015, la chaîne télévisée Al Hiwar al Tounsi avait diffusé un sketch qui porte atteinte aux personnes de couleur. « Nous l'avons dénoncé et nous nous sommes même adressés à la Haica en guise de protestation. Mais aucune mesure n'a été prise pour nous rendre justice et pénaliser les agissements raciaux », renchérit-elle. Il est à préciser que le présent projet n'est autre qu'une ébauche d'un projet de loi. Il sera remis à l'ARP pour élaboration et adoption dans un délai maximal de six semaines.