Khaoula Hosni ose une parabole terrifiante, assimilant notre vie actuelle à un sordide panoptique où nous avons constamment le sentiment d'être surveillés sans répit et, allant au bout de la psychose, poursuit par une mise en abyme où même nos surveillants sont eux-mêmes surveillés. Et ainsi de suite à l'infini. Imaginez un monde où personne ne connaîtrait ces moments de répit, des besoins épisodiques d'isolement qui participent à notre équilibre psychique, et qui représentent le pendant naturel de notre sociabilité fondamentale d'êtres humains ! C'est cet enfer que vit Sarah, personnage principal du roman, dans une quête épuisante qu'accompagne cet ouvrage terrifiant où cauchemar et réalité sont les deux côtés d'une même pièce où notre existence se jouerait à pile ou face. Franco-tunisiens aux manières britanniques C'est dans le hall de «Carlier & Perrin Communication» que Sarah Perrin se fait tancer par son père devant ses associés, dont Rayen Carlier. Plus que jamais, elle se sent observée, soupesée, testée. Son père ne semble pas s'en cacher et ne paraît pas voir qu'elle en souffre, qu'elle en a toujours souffert. Rayen l'observe aussi à sa manière, en biais, mais elle sent le regard inquisiteur peser sur elle. C'est sa tare. En vérité, elle a constamment cette impression d'être sous la loupe, nos seulement de ces deux Franco-tunisiens aux manières britanniques, mais de regards de toutes sortes, certains frôlant l'occulte. Elle a la nette impression qu'elle vit dans un panoptique, cet avatar de l'architecture carcérale dont la surveillance se fait par une tour centrale où les surveillants ne peuvent être vus. Des ruminations qui l'ont conduit encore plus loin, l'entraînant dans une mise en abyme où les «surveillants» sont eux-mêmes surveillés par d'autres surveillants, à l'infini. Un principe terrifiant de «Voir sans être vu» auquel elle a vite fait de substituer un autre, encore plus terrible : «Imposer une conduite». Perdue dans cette chape de plomb, elle remarque à peine la jeune fille qui travaille dans le même bâtiment de «Carlier & Perrin Communication» et qui vient de livrer un paquet à Rayen. Un paquet qui fait tic-tac et que, prise de scrupules, la jeune fille finit par arracher des mains de Rayen pour courir le jeter dans la fontaine de l'entrée. La bombe explose. Ils s'en sortent de justesse. Forgeage tardif d'un caractère Nouvel acte, nous retrouvons Sarah emprisonnée après avoir été kidnappée. Ses geôliers sont moitié hommes moitié autre chose : une python, un scorpion, une araignée ! Elle se trouve incarcérée avec d'autres prisonniers dans un panoptique, aussi sordide que réel : «Chacun d'entre nous était entouré par un quasi-noir glacé et solitaire dans l'appréhension permanente d'une attaque qui pouvait surgir de n'importe où, à n'importe quel moment, sans même pouvoir la voir venir». Prise au piège, elle parvient quand même à faire face : «C'est ce qu'ils voulaient ; nous voir vivre dans l'appréhension constante et terrifiée de ce qui allait nous arriver. Ils se nourrissaient de ça — de notre peur —, la cultivant ardemment, et s'en armaient pour mieux tuer tout espoir en nous». Elle finit par en sortir mais bourrée d'hallucinogènes et en charriant une nouvelle tare de divagations port-traumatiques ; un terrible PTSD (post-traumatic stress disorder). A première vue, les cliniciens qui l'entourent diagnostiquent que son kidnapping n'est qu'un cauchemar plus fort que de raison, mais pas une réalité, le tout prenant sa source à la nuit de la bombe. En fait, non ! Car un nouveau personnage fait son entrée ; une agent d'Interpol qui révèle l'existence d'une série de meurtres très distinctifs un peu partout dans le monde et dont Sarah serait la seule à avoir pu en échapper. Une confusion qui va la mener dans un long périple pour essayer de fuir (ou de se retrouver), en vérité une course-poursuite car Rayen la suivra à la trace à travers l'Afrique et l'Asie, dans les recoins les plus éloignés de Paris et d'Europe. L'ouvrage de Khaoula Hosni est un roman de fragilité et de courage, du forgeage tardif d'un caractère, comme il en advient pour beaucoup de femmes qui sont d'abord sous la férule de quelqu'un mais qui parviennent à s'affranchir après en avoir payé le prix ; le tout étant sans garantie, sans contours tranchés ; à l'image de la fin ‘'ouverte'' du roman. Le cauchemar du bathyscaphe, 339p., mouture française Par Khaoula Hosni Editions Arabesques, 2016 Disponible à la librairie Al Kitab, Tunis.