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Face à la crise économique et aux risques d'insolvabilité, l'impératif d'un new deal tunisien
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 26 - 01 - 2017


Par Mahmoud BEN ROMDHANE *
Notre pays souffre d'une grande crise économique. La plus dure de notre histoire depuis l'indépendance, la plus longue. Elle n'est pas prête d'être résorbée ; au contraire, elle ne fait que commencer, et de graves risques planent. Parce que les thérapeutiques que nous avons utilisées pour en amortir le choc depuis 2011 touchent à leur fin et qu'elles commencent à faire ressentir leurs effets nocifs, voire dévastateurs. L'accumulation des déficits, l'ampleur et la profondeur de la crise sont tels qu'il n'est plus possible de les affronter par des mesures ad hoc. Le temps des expédients est derrière nous, bien révolu.
Une crise dure et longue ; la Tunisie face à de grands périls
La Tunisie est en danger. Il nous faut éviter le chaos qui menace. Il y a urgence extrême. Mais il nous faut garder raison : les réformes à engager, les équilibres à reconstruire, l'œuvre de redressement exigeront des efforts, des concessions, voire des sacrifices. La réussite de l'entreprise — une entreprise immense — dépendra de la volonté des acteurs, de leur consentement volontaire. Les uns et les autres exigeront légitimement de savoir où cela va nous conduire et même de participer à l'identification du lieu où il nous faut aller et du chemin qu'il nous faut emprunter. Cet acte conscient, à travers lequel la société, dans son ensemble, prend conscience des dangers qui guettent, décide des mesures d'urgence à prendre pour les juguler, des concessions que l'un et l'autre de ses acteurs doivent consentir, et des bénéfices que chacun doit en tirer en retour ; tout cela veut dire un « New Deal », une « nouvelle donne » et, en même temps, un nouvel accord ou, plus précisément, un nouveau compromis.
Tel est l'objet de cette opinion libre que je soumets aux lecteurs.
La crise économique actuelle, la plus dramatique depuis l'indépendance
Cette crise est d'une intensité et d'une gravité, non pas exceptionnelle, mais unique dans notre histoire depuis l'indépendance. Si, comme on l'admet généralement, une crise économique est définie par quatre traits majeurs et combinés qui sont : une rupture dans le rythme de croissance, une rupture dans le rythme d'accumulation du capital, une augmentation soudaine et forte du chômage ainsi qu'une détérioration manifeste des conditions macrofinancières, force est de constater que nous vivons une vraie crise.
En effet, depuis 2011, le taux de croissance annuel moyen se situe autour de 1,5 %, soit moins de trois fois notre taux historique (5 %) ; ce taux tombe à 0,9 % hors administration (dont la croissance est comptabilisée selon l'importance de la masse salariale des fonctionnaires). Lors de la crise précédente, celle du milieu des années 1980, on a bien eu une baisse sensible du taux de croissance, mais celui-ci s'est maintenu dans une moyenne de 2,4 % au cours de ces dures années 1982-1986 ; quant à la durée de cette crise, elle a été bien moins longue. Le choc de croissance que nous vivons et sa durée sont les plus dramatiques de notre histoire. Ni 2017, ni les toutes prochaines années n'augurent une reprise de notre croissance historique.
L'investissement est en recul ; au cours de ces dernières années, nous nous trouvons dans le creux historique : le taux d'investissement se situe désormais en dessous de 20 %, alors que notre moyenne historique est de 25 %.
L'effectif des chômeurs a augmenté de 137 mille personnes de 2010 à ce jour et le taux de chômage, quant à lui, a augmenté, durant la même période de 13,0 % à 15,5 %. Sans les recrutements records dans le secteur public, le nombre de chômeurs additionnels serait de plus de 262 mille. Ce qui est le plus grave, c'est que, durant ces six dernières années, les créations d'emplois n'ont été le fait que du secteur public. Le secteur privé qui a créé, durant la décennie 2001 – 2010, une moyenne d'environ 70 mille emplois par an, est au point mort : depuis 2011, les emplois qu'il a créés sont moins nombreux que les emplois détruits.
Des finances publiques au bord de l'explosion
La situation de nos finances publiques est devenue, en quelques années, méconnaissable : notre dette publique a plus que doublé et notre taux d'endettement est passé de 40 % à 63 % (encore un record) sous l'effet de nos énormes déficits. Ce taux correspond à la définition étroite : uniquement le budget de l'Etat. Elle n'inclut ni le déficit des entreprises publiques, ni celui des caisses de sécurité sociale, ni les dettes garanties par l'Etat. La situation de nos finances publiques est ainsi devenue notre talon d'Achille parce que tous les déficits sont en train de se conjuguer et de devenir explosifs et exponentiels. Jamais depuis l'indépendance, nous n'avons été dans la situation actuelle : une visibilité limitée à un mois, des salaires qui ne peuvent être versés qu'au prix d'un nouvel emprunt intérieur ou international. Dans les jours, tout au plus les semaines, à venir, nous allons sortir sur le marché financier international pour emprunter de quoi assurer le versement de trois mois de salaires. Ce sera à un taux très élevé parce que nous n'avons plus la caution des institutions financières internationales : le déboursement de la 2e tranche du prêt conclu avec le FMI, qui devait intervenir au 4e trimestre 2016 n'a pas eu lieu ; il ne le sera pas dans les semaines à venir. Et tel est le cas de nos autres grands partenaires : la Banque mondiale, l'Union européenne, et les autres grandes institutions financières multilatérales.
Des entreprises publiques en détresse
Cette situation intervient à un moment où nos entreprises publiques essuient des pertes et des déficits cumulés colossaux et se trouvent au bord de l'effondrement : leurs pertes cumulées sont passées de 1,9 milliard de dinars en 2010 à 5,5 milliards de dinars en 2014 et, probablement, autour de 8 milliards en 2016/2017. Chaque année, elles perdent 1 000 millions de dinars ; jusqu'à quand pourront-elles survivre ?
Un système de sécurité sociale en faillite
La situation de nos caisses de sécurité sociale est encore plus dramatique : faute des réformes qui devaient être engagées depuis 2008, et qui n'ont cessé d'être reportées, les pertes qu'elles ont cumulées (3.100 millions de dinars depuis 2010) les ont obligées à prélever dans leurs réserves, qui ont été totalement épuisées à partir de juin 2016. C'est au prix d'aides d'urgence qu'elles continuent d'assurer leurs prestations sociales depuis lors. Pour l'année 2017, un soutien budgétaire de 500 millions de dinars est inscrit au profit de la Cnrps, mais comment faire face aux pertes prévisibles de la Cnss dont le régime de retraite connaîtrait un déficit de 1 000 millions de dinars en 2017 ? La question est encore sans réponse.
Pour l'année 2017, les pertes estimées des régimes de retraite atteindraient 1.900 millions de dinars (soit 2 % du PIB) ; en 2020, elles atteindraient 3.000 millions de dinars (3 % du PIB).
Des services publics en détérioration rapide, une vie quotidienne de plus en plus difficile
Au cours de cette période de crise, la vie est devenue difficile pour tous, en particulier pour les couches populaires. Les services publics, tous les services publics, n'ont cessé de se détériorer, obligeant les usagers à leur substituer des services privés, beaucoup plus onéreux. A titre illustratif :
- dans le secteur de la santé, le nombre des assurés sociaux couverts par le régime public est tombé de 2, 014 millions en 2010 à 1,766 million en 2016 (soit une baisse de 12,6 %), tandis que le nombre de ceux qui se sont orientés vers le régime privé est passé de 330 mille à 611 mille (soit une augmentation de 85 %) ;
- le nombre des élèves de l'enseignement primaire public a stagné entre 2010 et 2016, tandis que celui de l'enseignement primaire privé a été multiplié par 2,42 au cours de la même période ;
- le parc de bus publics en circulation a régressé de 11, 2 % entre 2010 et 2014, tandis que celui des taxis individuels a augmenté de 28,5 % et celui des taxis collectifs de 70,5 %.
Des pertes de revenu national considérables
Les coûts que nous avons subis dans nos finances publiques sont très importants. Ils sont moindres que les coûts économiques, les pertes de revenu (ou de PIB). La comparaison du PIB attendu (celui que nous aurions dû atteindre selon nos tendances historiques) et le PIB observé au cours des six dernières années montre que nos pertes cumulées de revenus approchent les 57 milliards de dinars, soit 60 % du PIB.
Une perte de compétitivité sans précédent dans le monde
Le plus grave, sans doute, est la perte de notre compétitivité globale, un facteur décisif pour une petite économie ouverte telle que l'économie tunisienne, qui tire sa richesse de son ouverture au monde. Aucun pays en situation de paix n'aura enregistré une régression aussi forte et aussi rapide : une perte de 63 rangs dans le classement mondial (classement Davos), qui fait passer notre pays du premier tiers des nations au dernier tiers d'entre elles. Ce recul rapide, sans précédent, est général ; il concerne tous les socles qui font la compétitivité d'une nation : les institutions, les infrastructures, la santé, l'éducation, l'efficacité des marchés, l'innovation, la technologie.
Ainsi se présente notre tableau économique. Notre tableau social en découle.
Nos régions intérieures sont de plus en plus en marge : les entreprises qui y sont implantées ont réduit leurs effectifs, d'autres ont fermé leurs portes. Quant aux investissements et aux projets publics, ils n'y ont pas progressé pendant de nombreuses années.
La jeunesse, en particulier celle qui est diplômée, est vouée au désœuvrement : ses effectifs au chômage ont pratiquement doublé, passant de 139 mille en 2010 à 237 mille en 2016. Les filles sont les premières victimes : elles forment plus des 2/3 des bataillons de ces chômeurs diplômés. Auront-elles encore le désir des études si elles se savent à ce point exclues du marché du travail ?
Une sortie de la crise « par le haut » est possible ; elle a ses conditions et elle a un contenu
Notre pays est enfoncé dans une crise profonde et, comme on vient de le voir, le pire est devant nous parce que nous avons épuisé nos marges de manœuvre. Devant nous, l'alternative suivante : la faillite de l'Etat et le risque (très sérieux) du chaos ; OU le sursaut national et une sortie négociée de la crise.
Les sorties de crise sont de deux types : des sorties socialement coûteuses et dures, réalisées dans la souffrance et l'aggravation des phénomènes d'exclusion et de marginalisation ; OU des sorties « par le haut », réalisées avec la participation des parties prenantes, conscientes des dangers qui guettent, volontaires pour relever les défis de la Nation et, en contrepartie, entendues pour faire prévaloir leurs intérêts stratégiques, leurs demandes sociales et leurs aspirations.
Si les sorties de crise sont possibles moyennant des politiques publiques et des réformes engagées et mises en œuvre par l'Etat éclairé, tel n'est pas le cas des très grandes crises. Nous nous trouvons devant une très grande crise ; l'action de l'Etat n'y suffit pas. Il faut une mobilisation générale.
Il nous faut, tout à la fois, engager vite les réformes des finances publiques pour éviter l'insolvabilité et engager la construction de l'avenir pour une sortie de la crise.
L'urgent rétablissement de nos finances publiques
Pour ce faire, il nous faut d'abord procéder à une refonte de nos finances publiques, les restituer dans une vision stratégique et intégrée. Ceci signifie :
- Intégrer le budget de l'année à venir dans une perspective de moyen et de long terme,
- Intégrer la sécurité sociale, les entreprises publiques et les entités locales et régionales dans la préparation et la présentation du budget de l'Etat au Parlement,
- Intégrer tous les actifs et tous les passifs de l'Etat dans l'analyse des finances publiques,
- Mettre en place les institutions et les mécanismes en charge de l'analyse de l'état des finances publiques et de la présentation des alternatives à court, moyen et long termes de nature à préserver la souveraineté du pays, sa compétitivité et la promotion sociale pour tous.
Vision stratégique et intégrée de nos finances publiques ; parallèlement, concomitamment aux restructurations et aux réformes urgentes de la fonction publique, des entreprises publiques, du système de protection sociale et des entités locales et régionales.
La réforme de l'Administration
L'Administration et sa réforme signifient :
- Réduire la facture salariale supportée par la collectivité pour parvenir à un ratio masse salariale de l'Administration/PIB de 11-12 % à l'horizon 2020, c'est-à-dire un taux voisin, voire supérieur à celui que nous avions en 2010 (10,7 %) et descendre à 10 % en 2023 (contre une moyenne de 9,5 % dans les pays de l'Ocde),
- Améliorer la collecte des impôts et assurer une plus grande justice fiscale pour parvenir à un ratio masse salariale/recettes fiscales (hors contributions à la sécurité sociale) égal à 50-55 % en 2020 (un taux voisin de celui qui prévalait en 2010, à savoir 53 %) et descendre à 45 % en 2023.
L'un et l'autre de ces objectifs ne sauraient être atteints sans une réduction rapide des effectifs pléthoriques de l'Administration.
Mais l'Administration est le cœur battant du processus de développement; elle a besoin de grandes compétences. La réforme doit lui donner les moyens de :
- Retenir les grandes compétences en améliorant sensiblement les avantages attachés aux hautes fonctions,
- Faciliter la mobilité entre ministères et entre directions,
- Doter les ministères et les institutions publiques de compétences stratégiques de très haut niveau pour une durée et des missions déterminées en leur accordant un statut spécifique et des avantages particuliers,
- Renforcer les mécanismes de la redevabilité à tous les niveaux et récompenser le mérite.
La restructuration des entreprises publiques
Un plan de restructuration pour chacune d'entre elles s'impose aujourd'hui, comportant un diagnostic, un plan de redressement à court/moyen terme et celui-ci :
- le soutien requis de l'Etat,
- le contrat de performance et
- le contrat programme de l'entreprise.
Elles ont besoin d'une nouvelle gouvernance, de règles de gestion moins rigides, notamment un contrôle des transactions et des recrutements a posteriori et non a priori, la possibilité de recruter et de rémunérer les compétences de très haut niveau selon les règles du marché. Elles doivent être encouragées, au terme de leur assainissement, à trouver des partenaires stratégiques.
L'Etat doit, pour sa part, revoir sa surface et sa participation dans les différentes entreprises publiques : il doit envisager son redéploiement stratégique, une revue en profondeur du « secteur public »
Il doit être mis un terme à l'interdiction du recours à la sous-traitance, étant entendu que ce secteur doit être régulé et se conformer au respect du code du travail et aux droits des travailleurs.
La réforme des caisses de sécurité sociale
Toutes les hypothèses de réforme ont été testées, tous les scénarios envisagés. Le dialogue social doit être engagé avec les partenaires sociaux pour la mise en œuvre immédiate des réformes urgentes et pour envisager l'avenir de la protection sociale dans notre pays. Une revue complète, approfondie et stratégique de l'ensemble du système de protection sociale en vue de le rendre efficace, juste et soutenable s'impose.
Le New Deal : son contenu
Ces trois impératifs stratégiques liés, exigés pour la sortie d'une très grande crise se résument en un mot, un concept : New Deal. New Deal veut dire « nouvelle donne », c'est-à-dire qu'on se place dans un univers nouveau, un mode d'opérer et de relations inédit ; New Deal veut dire « nouveau compromis ». Le compromis nouveau est un nouveau contrat entre les acteurs car, tout au long de leur histoire, le plus souvent sans le formuler explicitement, ils ont établi entre eux des contrats sociaux implicites.
Il renvoie à l'imaginaire commun des économistes et des spécialistes en sciences sociales qui marque la voie de sortie de la Grande crise de 1929, telle qu'elle a été initiée par Franklin Delano Roosevelt et qui a permis à l'Amérique de connaître, à partir de cette période, la plus forte croissance de son histoire et le processus de plus grand partage du revenu durant un demi-siècle.
La caractéristique du compromis nouveau – le compromis historique- est qu'il devient explicite. Ses termes sont posés de manière claire : chacun des acteurs accepte d'accorder la primauté aux intérêts collectifs et de reporter à plus tard la réalisation de ses intérêts immédiats, à la condition qu'on s'entende que ses intérêts fondamentaux soient bien pris en compte et qu'il soit assuré que, dès aujourd'hui, on mette en place les dispositifs et les engagements pour qu'ils deviennent réalité dans un délai temporel raisonnable.
C'est un compromis qui permet aux acteurs principaux, Etat, patronat, salariat, de fonder de nouvelles relations de coopération, plutôt que d'opposition, tout en reconnaissant leurs intérêts fondamentaux spécifiques. La collectivité n'est plus l'objet d'une lutte corporatiste sans merci, à travers laquelle la dynamique est une dynamique régressive ; les corporations admettent des concessions, un compromis, à travers lequel l'intérêt premier est l'intérêt général, la collectivité ; elles entrent dans un processus à travers lequel elles établissent des relations de confiance et comprennent bien que le gain n'est pas immédiat, mais qu'il est différé. Que son obtention passe par la contribution de tous au progrès de la collectivité.
Ce compromis historique est engagé à l'initiative, sous la houlette de l'Etat.
En relevant ensemble les défis, les acteurs ne font pas que « sortir de la crise ». Ils établissent entre eux de nouvelles relations de compréhension mutuelle, voire de solidarité ; ils construisent, ce faisant, une nouvelle société et de nouvelles valeurs humaines parce qu'ils accèdent à une intelligence supérieure qui est celle de transcender leurs intérêts immédiats propres et leur vision égocentrique.
Les acteurs-clés dont il s'agit sont, au premier rang, les organisations syndicales et patronales représentatives. Ce sont aussi les organisations professionnelles et les organisations de la société civile ; ce sont également les partis politiques. La sortie de crise est ainsi l'acte conscient de toute la société et de ses institutions représentatives.
Le compromis historique : ses termes
A l'intérieur de cette « nouvelle donne », les acteurs posent les termes du compromis, appelé historique parce qu'il intervient dans un univers nouveau qu'ils entendent construire ensemble. Ce compromis ouvre une page historique nouvelle.
Compte tenu de la réalité de la situation, telle qu'elle a été rapidement brossée précédemment, les termes du compromis historique peuvent être ainsi posés :
Productivité, efficience, compétitivité, souveraineté nationale (premier versant)
versus
Solidarité, inclusion, prospérité partagée, vivre-ensemble (deuxième versant).
Le premier versant a deux composantes : une composante économique et une composante politique.
La composante économique est productivité, efficience, compétitivité globale. Elle se décline en :
- Engagement d'un dialogue pour de nouvelles relations sociales fondées sur la coopération et l'efficience, ce qui exige une refonte complète et une modernisation du système de formation–recyclage et mise en place d'une indemnité pour perte d'emploi ;
- Mise en place d'un système d'évaluation permanente de notre compétitivité globale dans tous les domaines et l'établissement d'un plan pour son amélioration avec tous les acteurs concernés,
- Promulgation d'une législation de protection des sites de production d'intérêt stratégique national, à travers laquelle la communauté nationale n'autorise plus que des individus fassent prévaloir leurs revendications en portant gravement atteinte au patrimoine stratégique national, dont dépend le revenu de la nation,
- Etablissement d'un pacte et des contrats entre les professionnels des services publics, l'Etat et la société civile pour l'amélioration de la qualité des services publics fondamentaux.
La composante politique de ce premier versant est la souveraineté nationale. Elle comporte un plan de désendettement public et extérieur, d'une part, l'interdiction pour les partis politiques de recevoir des financements étrangers, et l'encadrement rapproché du financement des associations
Le deuxième versant est le modèle social au sens large.
Il englobe trois composantes : la protection sociale de tous, face à tous les risques de la vie ; l'inclusion des régions de faible développement; le vivre-ensemble.
Le système de protection sociale solidaire et inclusif à construire (ou à compléter et restructurer) comporte :
- Une couverture maladie universelle (pour tous ceux qui en ont besoin, pour toutes les régions, pour toutes les maladies),
- Une pension de retraite décente pour tous,
- Un revenu décent en cas de perte d'emploi et une formation de qualité,
- Des crèches et des jardins d'enfants accessibles à tous,
- Une prise en charge de toutes les personnes porteuses de handicap.
Il exigera des ressources, nous les avons évaluées. En une dizaine d'années, voire moins, il peut devenir réalité. A condition qu'on l'affiche comme objectif national, objet d'un suivi sociétal permanent ; à condition qu'on procède à un redéploiement de nos finances publiques et à une lutte contre les gaspillages et, bien sûr, qu'on renoue avec la croissance.
La deuxième composante du modèle social est le développement de toutes nos régions.
Le Plan de développement 2016-2020 comporte un ensemble cohérent de projets d'infrastructure routière, ferroviaire, portuaire et aéroportuaire permettant de décloisonner les régions. Il s'agit maintenant de l'adopter et de le réaliser. Il faut maintenant aussi engager l'élaboration d'un Schéma national d'aménagement du territoire pour en intensifier les effets de diffusion.
Les régions doivent devenir attractives pour les investisseurs, ce qui exige la mise en place :
- De pôles technologiques, centres technologiques, zones logistiques,
- D'un ou deux grands projets structurants par gouvernorat,
- D'un centre de vie moderne convivial pour les cadres et les investisseurs dans chaque gouvernorat,
- D'une banque des régions représentée dans chaque gouvernorat, dotée des ressources humaines pour aider les jeunes promoteurs et les accompagner dans leur projet.
Les équipements sociaux doivent être mis à niveau dans tous les gouvernorats.
La troisième composante du modèle social est le vivre-ensemble, qui signifie la civilisation des comportements avec l'appui, l'intervention déterminante de l'Etat, comme cela a été le cas partout dans le monde, car il n'existe pas de société civilisée sans un Etat ayant de la détermination et des capacités.
Le vivre-ensemble comporte un grand nombre de domaines. Deux d'entre eux sont d'une importance particulière : la lutte contre la corruption des fonctionnaires et la lutte contre la corruption politique ; l'hygiène, la propreté et la protection de l'environnement et du patrimoine naturel et culturel.
En guise de conclusion
Est-il besoin de le dire ? Le tableau présenté est sombre et les alternatives sont loin d'être faciles. J'ai beau revoir le tableau, chercher à tempérer mon propos, la réalité me semble bien celle qui vient d'être décrite. Quant à l'alternative, les voies de sortie, elle est, sans aucun doute difficile, très difficile. Mais avons-nous une autre voie ?
Ma conviction profonde est que notre pays recèle d'immenses richesses humaines et que le peuple tunisien est doué de raison et de sagesse. Il saura, j'en suis sûr, trouver le chemin qui lui permettra de retrouver la voie de la prospérité, qui ne peut être fondée que sur le labeur.
Dans sa lettre à son frère, du fond de sa prison, le 19 décembre 1929, Antonio Gramsci lui écrivait : « Je suis pessimiste par l'intelligence, mais optimiste par la volonté ». Je crois que tel est, aujourd'hui, notre sort commun.
M.B.R.
* (Membre de l'Académie tunisienne Beït Al-Hikma, président du Conseil d'orientation stratégique du Cercle Kheireddine)


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