Le plan a le mérite de tracer l'ébauche d'une stratégie de développement, avec un cadrage des politiques économiques, sectorielles et budgétaires. L'ultime objectif sera de le mettre à l'abri des aléas politiques, ensuite de le placer dans le principe de la continuité de l'Etat. Dans le cadre d'une session extraordinaire organisée hier au Bardo, le gouvernement soumet à l'Assemblée des représentants du peuple son plan de développement 2016-2020, ainsi que le projet de loi y afférent. Lamia Zribi, ministre des Finances, et Fadhel Abdelkéfi, ministre de l'Investissement et du Développement économique, se sont livrés à l'exercice de la présentation. La séance solennelle est annoncée à 8h30 plusieurs jours à l'avance. Compte tenu de l'importance de l'événement, on y a cru réellement. Seulement à cette heure-ci, on en était encore à gérer les problèmes d'intendance; mettre en place la tribune, poser les porte-noms et les verres ruisselant d'eau sur les tables, les micros sur le pupitre, et régler la sono. Beaucoup de monde veillait au grain. Le temps que les élus affluent par petits groupes et que les officiels arrivent enfin, il était 10h00. Peu de parlementaires ont jugé bon de suivre le lancement de l'opération. Quarante-trois en tout sur 217, selon le comptage de Marsad. Venus relativement plus nombreux, les députés membres de la commission parlementaire des finances étaient directement concernés. Mohamed Ennaceur, en souhaitant la bienvenue à ses hôtes n'a pas manqué de rappeler la gravité de l'instant, s'agissant du premier plan quinquennal sous la IIe République. Depuis cinquante ans, rappelle le président de l'Assemblée, la Tunisie avait inlassablement mis en œuvre des feuilles de route à court et moyen termes, en essayant de s'y conformer. Rompue, la pratique a cédé la place à cinq ans d'incertitudes. Les politiques publiques, faute de planification, s'étaient soumises aux aléas conjoncturels. Insistant sur l'impérieuse nécessité de définir une direction et fixer des objectifs. Le président a fait appel à l'esprit de solidarité des Tunisiens, les enjoignant à dépasser leurs différences et clivages politiques. Il s'adressait notamment à ses élus. Retard dans la mise en œuvre Mongi Rahoui, président de la commission des finances, expose brièvement l'esprit du plan quinquennal. Une économie inclusive, l'équité régionale et l'emploi des jeunes font partie de ses lignes directrices. Il a tenu à poser l'individu comme valeur suprême de la stratégie nationale à l'examen. Fadhel Abdelkéfi, ministre de la Coopération internationale, présente en dix minutes, un exposé qui résume l'esprit autour duquel s'est élaboré le plan de développement. Il a présenté la situation existante, les objectifs à atteindre, appuyés par quelques données chiffrées. C'est un plan dont le lancement effectif avait déjà débuté en 2015, tient-il à se justifier. « Près de 20 à 25 mille personnes y avaient pris part », précision en vue de confirmer l'esprit participatif de l'étude, cette fois-ci. Les défis à sa mise en œuvre sont nombreux. La pression du taux de chômage, l'endettement ainsi que le déséquilibre des finances publiques n'en sont pas des moindres. Lamia Zribi, ministre des Finances, a d'entrée de jeu reconnu, elle, le retard conséquent accusé par la mise en œuvre dudit plan. Censé couvrir les années 2016 à 2020. En 2017, il n'a pas encore été adopté. Hier seulement a été inaugurée la première séance d'examen. Il est indispensable, a-t-elle tenu à souligner encore, que le plan soit le cadre de référence de toutes les politiques de développement. La ministre rappelle que les failles structurelles dont souffrent les politiques publiques tiennent leurs origines du cumul des périodes antérieures. Le projet de loi en question enregistré sous la référence 24/2016 ne comprend que deux articles. Le plan annexé est de 192 pages. Il ressemble surtout à un catalogue de bonnes intentions, toutes louables. Question: sont-elles réalisables ? Lecture critique du plan quinquennal Selon un expert économique joint par La Presse qui a loué l'initiative parce qu'elle donnerait plus de visibilité aux opérateurs économiques en donnant une direction, voire une vision. Problème, a-t-il prévenu, « il donne à tous ceux qui recherchent le buzz et la visibilité médiatique le bâton pour le battre », et de renchérir : « Le diagnostic qui a servi de base est indiscutable. En matière d'action, on y trouvera, en revanche, des évidences comme l'armée sera prioritaire, et plus généralement la sécurité. L'école et l'enseignement doivent aider à combattre l'extrémisme, le gouvernement œuvrera à instaurer une culture ouverte... ». Selon l'analyste, les idées générales, généreuses et évidentes pullulent, à l'instar encore de l'économie verte, l'équité, le développement régional, la lutte contre les inégalités, l'encouragement aux exportations. Qui oserait dire le contraire ? S'est-il interrogé. Mais encore, « un nouveau code des investissements verra le jour. Oui, mais comment juger si c'est une bonne idée si on ne sait pas ce qu'il y a dedans? ». D'un autre côté, si on avait attendu de mettre des chiffres et des dates, des éléments plus concrets dans chaque mesure, on aurait attendu encore des années ? « Oui, reconnaît-il, c'est dire la difficulté de l'exercice ». Questionné sur des réserves qu'il pourrait émettre quant à des projets précis, «le port en eau profonde d'Enfidha, étaye-t-il. Un port en eau profonde, c'est une excellente idée, mais pourquoi Enfidha ? Pourquoi pas Bizerte, plus proche des routes maritimes? Il y a certainement une raison, mais elle n'est pas exposée dans le plan de développement », a-t-il tenu à faire valoir. Et pour ce qui est de la gouvernance du secteur public ? Question de La Presse : « La gouvernance du secteur public sera réformée. Il était temps », répond-il laconique. Qu'avez-vous à dire sur les objectifs chiffrés ? «L'endettement public sera contenu à 54,7% du PIB à l'horizon 2020, associé à une gestion active de la dette. Les dépenses de fonctionnement ne vont croître que de 6,9% par an jusqu'à 2020, contre 11,5% par an, en 2011-2015 ». La mise à l'abri des tentations populistes En matière de croissance et de déficits, l'économiste estime que les objectifs semblent très difficiles à réaliser. Le déficit courant sera ramené de 7,7% du PIB en 2016 à 5,2% en 2020. Le revenu par habitant (en Dinars courants) devra augmenter de près de 50%, passant de 8.680 DT à 12.520 DT en 2020. « Quand on regarde les chiffres, raisonne-t-il, le taux de croissance de 2% en 2016 devra grimper à 5,5% en 2020, en passant par 3% (2017), 4,4% (2018), 4,9% (2019). C'est une cadence difficile à maintenir, a-t-il commenté. L'inflation, indice des prix à la consommation, resterait contenue en dessous de 4% et serait ramenée à 3,5% en 2020. Quant aux exportations, analyse-t-il encore, elles augmenteraient d'un taux de 5,5% en 2016 à 10,4% en 2020. « Alors que les importations augmenteraient moins vite. Ce qui permettrait évidemment de réduire le déficit commercial et le déficit du compte courant ». Que pensez-vous du plan de développement globalement ? Dernière question de notre journal ? « C'est un exercice intéressant mais le débat est périlleux dans une assemblée où se déploient toutes les tentations populistes », répond-il sans détour, et en concluant. Ce plan de développement, ainsi qu'il a été présenté par les intervenants qui se sont relayés au podium, a le mérite de tracer l'ébauche d'une stratégie de développement, avec un cadrage des politiques économiques, sectorielles et budgétaires. L'ultime objectif sera d'abord de le mettre à l'abri des aléas politiques, ensuite de le placer dans le principe de la continuité de l'Etat.