« Je ne suis pas la première ni la dernière. Ils nous blaguent. On nous promet monts et merveilles et quand tu viens, c'est le contraire : six mois avant de voir le soleil », témoigne K.S. Mal connu des Tunisiens, le phénomène de la traite des personnes est pourtant une réalité sous nos cieux. Un phénomène si inquiétant que la Tunisie vient de se doter d'une loi pour le combattre et même d'une instance chargée de contribuer à l'effort international de lutte contre la traite des personnes. En Tunisie, l'Organisation internationale de migration (OIM) recense 82 victimes. Issues en majorité d'Afrique subsaharienne (notamment de Côte d'Ivoire), elles ont été principalement « exploitées dans la servitude domestique ». Après avoir sollicité l'ONG « Terre d'asile Tunisie », qui travaille depuis quelque temps sur le sujet, nous avons pu obtenir un document exceptionnel qui jette la lumière sur le profil des victimes, rapportent certains témoignages édifiants, tout en respectant l'anonymat des victimes. Comme c'est le cas de tous les crimes, la traite des personnes en Tunisie s'attaque aux catégories les plus vulnérables, principalement les femmes. Elles ont souvent la trentaine, elles sont Ivoiriennes, elles sont célibataires et sans enfants dans 75% des cas et pour certaines, elles ont choisi de venir en Tunisie pour pouvoir aider « financièrement leurs familles ». « Je ne suis pas la première ni la dernière. Ils nous blaguent. On nous promet monts et merveilles et quand tu viens, c'est le contraire: six mois avant de voir le soleil », témoigne K.S qui a dû payer la somme de 300 000 CFA (plus de 1100 dinars) à un « agent » pour obtenir un contrat de « soudeuse spécialisée en Tunisie ». Une fois en Tunisie, elle explique avoir été exploitée comme domestique pendant 6 mois. En fait, comme K.S, 90% des victimes ont été soudoyées par de véritables réseaux d'exploitation. Fausses agences, intermédiaires improvisés (Ivoiriens ou étrangers). Elles arrivent en groupe, dans l'ignorance totale des conditions de vie en Tunisie. Souvent, on leur explique qu'elles vont travailler comme domestiques pour de grandes demeures prestigieuses ou comme techniciennes dans certains domaines d'activité. Au passage, les victimes versent en moyenne 1000 dinars à leurs passeurs. C'est à partir de ce moment que commence le calvaire des victimes et, effectivement, ce qu'on appelle désormais la traite des personnes en Tunisie. Ruinées par le paiement initial de la commission de l'intermédiaire, les victimes voient leurs billets d'avion pour la Tunisie payés par « l'employeur ». Arrivées en Tunisie, elles devront travailler « gratos » pendant plusieurs mois pour pouvoir payer « leurs dettes ». « Ignorant où elles sont, elles se retrouvent isolées, souvent séquestrées, à Sfax, Hammamet, Djerba ou dans des quartiers chics de Tunis », peut-on lire dans le document reçu de « Terre d'asile Tunisie ». Chez l'employeur, le maître mot est l'obéissance aveugle. Pour les dissuader de dénoncer les abus, le recours à l'intimidation est quotidien. Séquestrée pendant 5 mois avant de pouvoir échapper, A. témoigne : « Lorsque j'ai voulu récupérer mon argent, la femme pour laquelle je travaille m'a enfermée dans une chambre, et, avec son fils, ils m'ont battue. Elle le faisait avec des chaussures et son fils me marchait carrément dessus. Dieu merci, j'ai pu échapper à cet enfer ». Si elle est arrivée à sortir de ce calvaire, l'expérience est traumatisante. « Elles ont une forte résilience mais l'impact de la traite en termes de traumatisme est très important pour les victimes qui développent des troubles d'adaptation et de stress », explique Insaf, psychologue en charge du suivi psychologique des victimes à Terre d'asile Tunisie. Après plusieurs mois de servitude, plusieurs d'entre elles parviennent à fuir, et c'est alors que commence une nouvelle souffrance. Sans le sou, sans pièces d'identité confisquées par l'employeur ou par les « passeurs », elles se retrouvent obligées d'enchaîner, dans l'illégalité la plus totale, de petits boulots dans les restaurants ou en tant que domestiques. Après avoir souffert, après avoir été exploitées, beaucoup subissent l'humiliation de rentrer « bredouilles » dans le pays d'origine. « Reculer c'est être humilié. Ici, c'est un beau pays, mais il y a les pénalités. La traversée, c'est facile. Beaucoup passent par la Tunisie pour mourir dans l'eau. J'ai toujours hésité, car j'étais désespérée », comme beaucoup d'exploitées, K.S a pu finalement s'en sortir grâce à l'assistance de Terre d'asile Tunisie, après deux ans passés dans la précarité.