Un projet de loi contre la traite des personnes est en cours d'élaboration «La traite des femmes : une violation de leurs droits humains et une atteinte à leur dignité», tel a été le thème du séminaire qui a eu lieu les 18 et 19 octobre 2014 à Tunis. Cette rencontre, concoctée par l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), a été l'occasion pour la société civile ainsi que pour les organisations internationales dont l'Organisation internationale de la migration (OIM), de lever le voile sur une pratique illicite et assez répandue dans le monde, et qui est la traite des femmes. Une pratique sur fond d'esclavage, de domination et d'exploitation. En Tunisie, comme partout dans le monde, la traite des humains s'inscrit parmi les actions criminelles, opérées le plus souvent dans le cadre d'un groupe ou encore d'un réseau international. Certes, notre pays a bien ratifié le protocole de Palerme qui incrimine toute personne contribuant d'une manière directe ou indirecte à la traite des humains. Cependant, et à défaut d'un cadre juridique à même de conjuguer les directives du protocole en des lois nationales applicables, la lutte contre la traite des humains n'aboutit toujours pas aux objectifs escomptés. Depuis 2012, l'Organisation internationale de la migration (OIM) s'est engagée à détecter les éventuels cas de traite des personnes en Tunisie. Au bout d'une année, elle a réussi à repérer cinq cas. Aujourd'hui, elle soutient une trentaine de personnes ayant été prises au piège par des réseaux de traite. Parallèlement, l'OIM s'applique ainsi que le gouvernement à l'instauration d'un projet de loi anti-traite des personnes. Ce projet de loi n'est point récent puisqu'il date de 2008. Il a buté sur maints obstacles pour être, enfin relancé par les défenseurs des droits de l'homme. La Tunisie : un pays d'origine, de transit et de destination ! Pour fouiller dans ce domaine illicite, l'OIM a choisi de mener une étude exploratrice sur la traite des femmes en Tunisie. Un travail accompli en 2013 et au bout duquel l'on parvient à entrevoir une facette cachée du pays, celle d'un pays d'origine, de transit et de destination pour les victimes de traite. Dans son intervention, Mme Hélène Le Goff, représentant l'OIM, avance une série de preuves, démontrant ce triple profil de la Tunisie. En effet, le réseau de traite de femmes, démantelé récemment au Liberia, était commandé par une Tunisienne. Celle-ci avait recruté des femmes pour travailler au Liban. Sauf que ces femmes se sont retrouvées au Liberia pour une exploitation sexuelle et un travail forcé. D'un autre côté, de nombreuses nigériennes victimes de traite en Libye ont été interceptées au camp des réfugiés de Choucha. Elles devaient passer par notre pays pour rejoindre l'Italie où elles seraient contraintes à la prostitution. La Tunisie constitue, en outre, une destination pour les victimes de la traite. L'OIM a réussi à détecter des Ivoiriennes qui ont été prises au piège par un réseau de traite. Se croyant endettées auprès dudit réseau pour avoir pris en charge le voyage jusqu'en Tunisie, elles devaient donc payer leurs dettes, soit quelque 2.000dt. Fauchées, elles se sont trouvées dans l'obligation de travailler pendant cinq mois sans pour autant obtenir un sou. Suite à quoi, le réseau leur a confisqué les passeports et les a contraintes au travail domestique. Exploitation sexuelle et économique D'autres victimes se croyaient chanceuses pour avoir décroché un visa touristique de trois mois. Cependant, et au-delà de ce délai, ces femmes n'auront aucune justification pour rester en Tunisie. Se trouvant dans l'incapacité de rentrer chez elles, elles seront obligées de payer une taxe de l'ordre de 40dt par semaine, ou encore de se résigner à la traite, voire à l'esclavage. Mme Le Goff met l'accent sur les moyens auxquels recourent les manipulateurs pour garder leurs proies sous contrôle. Ainsi, ils confisquent les papiers d'identité, menacent les femmes en leur montrant des photos de leurs enfants ou de leurs familles. Certains leur font croire qu'elles seraient à jamais sujettes à un sort de magie noire si jamais elles pensaient à fuir les lieux. Il est à souligner que la plupart des femmes victimes de la traite sont violées et violentées par leurs employeurs. Dans certains pays, elles sont même privées de leurs droits les plus absolus, à savoir le droit à la nourriture. En revanche, on les maintient sous la dépendance de la drogue et de l'alcool. Mme Le Goff souligne que la traite des humains revêt un aspect encore plus horrifiant au Moyen-Orient. En Egypte, au Yémen et au Soudan les réseaux de traite kidnappent hommes et femmes, adultes et enfants afin de prélever leurs organes. Ce qui n'est pas le cas au Maghreb. Vouées à la servitude... Encore faut-il souligner que la traite des personnes constitue un phénomène de société vieux comme le monde. La traite dite interne se traduit par l'exploitation des femmes, des adolescentes et des petites filles provenant des régions défavorisées du nord-ouest. Ces femmes et petites filles sont recrutées comme des femmes de ménage, maltraitées, violentées et ne recevant parfois aucune indemnité matérielle. La plupart d'entre elles devaient encore jouer à cache-cache ou apprendre l'alphabet. Des fillettes qu'on voue à la servitude comme si c'était la condition fatidique de leur genre. L'oratrice évoque, par ailleurs, l'exploitation des personnes en situation de handicap et des enfants dans des activités illicites notamment la mendicité, le crime, etc. Aujourd'hui, et en dépit de la ratification du protocole de Palerme, il convient, selon Mme Monia Ben Jemia, juriste universitaire et membre de l'Atfd, de tabler sur la prévention de la traite en développant une stratégie communicationnelle sur la typologie de la traite mais aussi sur les modalités de soutien apportées aux victimes. La juriste insiste, par ailleurs, sur la nécessité de prendre des mesures socio-économiques afin de lutter contre les facteurs propices à la traite des humains. Elle appelle également au renforcement du contrôle des frontières et à l'implication de la société civile pour lutter contre la discrimination à l'égard du genre et pour défendre les droits des migrants. Elle souligne, enfin, que lever les réserves sur la convention de Cedaw représente une initiative salvatrice qui se fait attendre.