Le président de l'Instance nationale de lutte contre la corruption recevra lui-même les rapports des dénonciateurs des cas de corruption dans les secteurs public et privé. Les noms des dénonciateurs resteront secrets mais les faux dénonciateurs seront «dénoncés et sanctionnés» Grand jour, hier, au palais du Bardo où les membres de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) ont décidé de faire passer le projet de loi sur la dénonciation de la corruption. Composée au départ de 46 articles, la loi en question comporte 36 après amendement, outre huit autres articles supplémentaires qui pouvaient être adoptés ou rejetés (au moment de la rédaction du présent article vers 18h00, les députés ont voté 35 articles et s'apprêtaient à examiner les huit supplémentaires avec l'obligation de voter l'ensemble de la loi au cours de la journée d'hier). Et au-delà de la polémique et des débats contradictoires qui ont accompagné ces dernières semaines la loi sur la dénonciation de la corruption au point que certains observateurs et analystes n'ont pas hésité à accuser le gouvernement de se rétracter et de tout faire pour renvoyer aux calendes grecques l'adoption de la loi, ce qui importe pour l'opinion publique, plus précisément pour ceux que la loi appelle ou veulent de leur propre gré jouer «les dénonciateurs», c'est de savoir à qui ils vont adresser leurs rapports dévoilant les cas de corruption qu'ils auraient découverts et dont ils détiennent les preuves qu'ils ne soient pas accusés de «faux dénonciateurs» et subir les sanctions que prévoit la loi contre ceux qui s'aventureraient à salir gratuitement la réputation de quiconque. Deuxième donnée importante: sur quelle définition de la corruption vont s'appuyer les dénonciateurs pour que leurs rapports ne soient pas classés sans suite par l'Instance nationale de lutte contre la corruption, et ce, sans avoir à dire à son auteur pourquoi elle a décidé de ne pas le prendre en considération. (Dans la loi en question, il n'existe pas de possibilité de recours pour les dénonciateurs dont les rapports seront rejetés) ? On s'adressera directement à Chaouki Tabib C'est l'article 2 de la loi en question qu'il faudrait mettre en exergue. Il détermine, en effet, la méthodologie à suivre pour dénoncer les cas de corruption. Au départ, le dénonciateur devait soumettre son rapport à l'autorité hiérarchique dont il dépendait et c'est à cette même autorité de transmettre le rapport en question à l'Instance nationale de lutte contre la corruption. Hier, les députés ont décidé que les dénonciateurs s'adresseront directement à Chaouki Tabib, président de l'Instance, «elle seule habilitée à détenir une base de données sur les cas de corruption ou présomptions de corruption». Une source informée auprès du Parlement confie à La Presse: «Les noms des dénonciateurs (alerteurs) seront codés. Seule l'Instance connaît l'identité du dénonciateur. Quant au dénonciateur qui fournira de fausses informations à l'Instance, il sera lui aussi dénoncé, révoqué et sanctionné». A la question de savoir qu'est-ce qu'un dénonciateur peut faire au cas où ses révélations seraient ignorées, notre interlocuteur précise : «La loi ne précise pas à quelle autorité il pourra avoir recours pour montrer que l'instance a fauté en rejetant son rapport. Peut être au Tribunal administratif mais à condition que l'Instance de Chaouki Tabib ne prenne pas exemple sur l'Instance vérité et dignité où Sihem Ben Sedrine refuse d'exécuter les jugements du Tribunal administratif». On ne finira jamais de définir la corruption Maintenant que les dénonciateurs savent à qui s'adresser et sont sûrs que leurs identités resteront secrètes, il faut qu'ils sachent quand ils devront entrer en action et quelles pratiques ils vont dénoncer. Et c'est bien l'article 2 de la loi qui éclaire la lanterne des dénonciateurs en définissant toutes les formes de corruption. Il s'agit, en effet, «de tout comportement contraire à la loi et aux réglementations en vigueur de nature à porter atteinte à l'intérêt public». Est déclarée aussi un acte de corruption «toute mauvaise utilisation du pouvoir ou de l'autorité ou de la fonction en vue de l'obtention d'un intérêt personnel. Cet acte touche les crimes de corruption dans les secteurs public et privé». L'article 2 définissant la corruption précise encore : «Mettre la main sur l'argent public, s'enrichir illicitement, la mauvaise gestion de l'argent public, l'abus de confiance, l'excès de pouvoir, le blanchiment d'argent, le conflit d'intérêts, l'évasion fiscale, le blocage de l'exécution des décisions judiciaires et tous les actes qui menacent la santé générale, la sécurité et l'environnement sont à considérer comme des actes de corruption». Il est quasi certain que les juristes auront bien beaucoup à dire sur cette définition de la corruption et déjà l'un des députés opposés à la loi dans sa totalité révèle à La Presse : «Cette loi fera de tous les Tunisiens des dénonciateurs».