Après la Berlinale 2017 dans la section forum, Toronto international film festival, et Busan Film Festival, le nouveau film de Raja Ammari, Corps étranger, est sur nos écrans. Oui, cela peut avoir l'air d'un film sur l'immigration clandestine et les djihadistes ! Mais une chose ne peut être et avoir l'air car il nous semble que, dans ce film, le thème de l'immigration clandestine n'est qu'un prétexte tout aussi présent qu'il soit. Mais un prétexte pour parler de quoi ? Un prétexte à notre sens pour parler de tout ce qu'il y a de profondément enfoui dans un être humain : ses pulsions, à savoir ses angoisses, ses peurs mais aussi ses fantasmes. Du fantasme le plus profond créé par la frustration d'une vie fade jusqu'au désir féminin produit par la fougue d'une jeune fille et qui découvre que justement ce désir est une éventualité qui pourrait fleurir sur le terrain d'un même sexe. Au milieu de tout cela le regard que porte l'homme arabe sur les amours féminines. Tout cela sans voyeurisme ni discours moralisateur. L'immigration clandestine et le djihadisme ne se présentent dans l'écriture cinématographique que comme leviers qui servent à construire le profil des personnages et poser leur identité en quelque sorte. Trois personnages en fait (Leila Bertaux, alias Houyeme Abbas, Sarra Hannachi alias Samia et Slim Kechiouch alias Imed). Point commun entre ces trois personnages : ils sont tous d'origine arabe et du même milieu social de surcroît, sauf que Mme Leila Bertaux, après en avoir vu de toutes les couleurs, a fini par rencontrer un riche Français qu'elle a épousé pour mener en fin de compte la vie d'une femme aisée mais qui joue le rôle de la potiche. Un triangle qui a les mêmes racines arabes et qui évolue dans une ville française sous une autre culture. L'ancien islamiste Imed qui vit clandestinement en France, la jeune fille qui a fui la Tunisie et qui est prête à tout pour s'en sortir et la femme qui vient d'une génération plus ancienne et qui redécouvre les sensations fortes de son corps qu'elle ne semble pas avoir vécu enfermée qu'elle était dans les moules de la bourgeoisie française. Comment évoluent le désir et l'érotisme qui a ses racines dans des pays qu'on fuit clandestinement sous une culture européenne ? Cette rencontre entre ces trois personnages aurait-elle eu la même issue si elle avait eu lieu dans le monde arabe ? Le film devient alors comme une sorte de laboratoire où on recueille les réponses psychologiques des trois personnages face à une situation donnée. Chaque corps a sa propre réponse même si les milieux d'origine sont les mêmes et chaque corps se sent en fin de compte étranger à lui-même. Du moins c'est notre manière de voir cette écriture cinématographique qui semble porter son élan vers la psychologie des personnages avec le souci de traiter un thème, somme toute encore sensible dans notre cinéma. La réalisatrice a privilégié l'usage d'un dispositif de tournage qui nous rend très proches de ces deux corps féminins et qui installe ces mêmes corps dans un processus de suggestion cinématographique plutôt que dans une représentation frontale qui aurait déplu. Un film qui risque de départager les avis mais qui possède du moins son propre univers. Produit au Nomadis images Dorra Bouchoucha (Tunisie) et Mon voisin production (France), ce film est le troisième long métrage de la réalisatrice Raja Ammari après Satin rouge et Daouaha.