Par Lobna Jeribi(*) La prévision des créations d'emplois est basée sur l'hypothèse d'une croissance de la productivité apparente du travail de 1,8% seulement par an. Or, compte tenu des investissements projetés et du programme des réformes, la productivité apparente du travail augmentera vraisemblablement de façon beaucoup plus importante et, par conséquent, l'emploi augmentera à un rythme inférieur à celui prévu Le Plan de développement 2016-2020 présente un intérêt capital pour le pays en tant que cadre fixant les objectifs de la période, les moyens à mobiliser et les stratégies à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. Solidar Tunisie a mené une étude** critique basée sur la participation des parties prenantes et la contribution d'universitaires. Cette étude met en relief les lacunes observées et élabore des propositions pour y remédier. Solidar Tunisie considère que les réformes programmées dans le plan sont ambitieuses, pertinentes et supposées corriger les faiblesses constatées dans le pays pendant la période écoulée (2011-2015), mais elles présentent des limites. En effet, le diagnostic qui fonde ces réformes est le plus souvent qualitatif et comporte peu d'indicateurs quantitatifs. Les quelques indicateurs retenus ne sont que rarement produits à un niveau régional ou par genre. De même, Solidar Tunisie signale le manque d'un calendrier de mise en œuvre des réformes, l'absence d'indicateurs de monitoring et de suivi de leur impact ainsi que le défaut de l'identification des départements qui en sont redevables. Les investissements projetés dans le plan s'élèveront à 120.000 MD. Solidar Tunisie constate que ces investissements, malgré leur importance, ne permettent pas de rattraper le retard accumulé en 2011-2015. De même, l'accroissement du taux d'investissement à 24,4% du PIB à l'horizon 2020 reste insuffisant par référence aux performances des pays émergents et ne semble pas à la hauteur du programme des réformes du plan. A cet égard, les investissements à réaliser par les entreprises ne concordent pas avec le rôle qu'attribue le plan au secteur privé. De même les IDE prévus sont en deçà des efforts annoncés de diplomatie économique, de l'impact attendu de la nouvelle loi sur l'investissement et des efforts annoncés de prospection d'investisseurs étrangers. Par ailleurs, contrairement à l'objectif du plan, les investissements programmés et les exportations et importations prévues ne démontrent pas une transformation de la Tunisie en un hub économique, c'est-à-dire un pays plus ouvert et où le commerce extérieur contribue de façon beaucoup plus importante à la croissance. Cela a bien entendu un impact sur les emplois à créer et sur leur qualité. Le plan prévoit la création de 400.000 emplois qui permettraient de ramener le taux de chômage à 12%. Bien que cet objectif soit fortement souhaitable, Solidar pense qu'il est difficilement réalisable. La prévision des créations d'emplois est basée sur l'hypothèse d'une croissance de la productivité apparente du travail de 1,8% seulement par an. Or, compte tenu des investissements projetés et du programme des réformes, la productivité apparente du travail augmentera vraisemblablement de façon beaucoup plus importante et, par conséquent, l'emploi augmentera à un rythme inférieur à celui prévu. En outre, le plan suppose que l'administration contribuera à raison de 17% aux créations d'emplois et continuera à recruter malgré ses effectifs pléthoriques et malgré l'objectif d'augmentation de l'épargne publique. De plus, dans le schéma des créations d'emplois prédominent les secteurs à faible valeur ajoutée (le bâtiment, le commerce, l'agriculture...). Les secteurs en mesure de créer des emplois de qualité pour répondre aux aspirations des diplômés du supérieur ont une faible contribution aux créations d'emplois. Finalement, le plan prévoit — à l'horizon 2020 — un taux d'emploi de la population d'âge actif de 50% et un taux de chômage de 12%. Pour que ces prévisions se réalisent, l'économie devra mobiliser ses ressources humaines féminines autant que ces ressources humaines masculines. Le plan ne prévoit pas une stratégie à cette fin. Les taux d'investissement projetés devront subir un saut qualitatif et dépasser les niveaux prévus par le plan, il faudrait enfin que ces investissements soient affectés davantage vers des secteurs exportateurs et à forte valeur ajoutée. *(Présidente de Solidar Tunisie) (**) Cette étude a fait l'objet d'une audition auprès de la commission des finances, de la planification et du développement au sein de l'ARP, le 8 mars.