Sans pour autant céder au défaitisme, la députée européenne Eva Joly montre une voie possible pour éradiquer la corruption ou du moins la combattre à travers les îlots d'intégrité Les premières Journées franco-tunisiennes de lutte contre la corruption ont démarré hier à l‘Institut français, au centre de Tunis. Elles s'étendent sur deux jours. Un événement organisé conjointement par L'Institut français de Tunisie, l'Agence française de développement et l'Instance nationale de lutte contre la corruption, impliquant les acteurs associatifs, les gens de la justice et des universitaires. Du monde s'est succédé au pupitre lors de la séance inaugurale, Ghazi Jeribi, ministre de la Justice, Olivier Poivre d'Arvor, ambassadeur de France en Tunisie, Chawki Tabib, président de l'Inlucc, et Eva Joly, avocate au barreau de Paris et députée européenne. Le mot de bienvenue est prononcé par Christian Vennetier, «c'est un partenariat gagnant-gagnant», a-t-il lancé d'emblée. Le magistrat de liaison de l'ambassade de France en Tunisie présente le programme se déclinant en trois temps : «Prévention de la corruption, en attaquant le phénomène le plus en amont possible»; sur la corruption dans les entreprises, «ce milieu à risque qui brasse beaucoup d'argent» se porte le deuxième temps, et, enfin, mettre en place une «organisation judiciaire spécialisée», en vue de lutter efficacement contre la corruption, représente le troisième volet qui parachève le programme des Journées. Disposition efficace, le droit d'accès à l'information L'intitulé de la manifestation, «Prévention et répression de la corruption, une exigence démocratique dans un Etat de droit», a donné lieu au déploiement de thématiques phares, dont la prévention de la corruption, la répression de la corruption, ou encore le rôle des instances nationales. Le ministre de la Justice a pris la parole en premier, dénonçant les répercussions de la corruption qui porte atteinte aux fondements de l'Etat de droit et sape la construction démocratique. « La corruption mais encore le commerce parallèle, la contrebande qui ne payent pas d'impôt, produisent une autorité économique et politique parallèle, et ont des retombées sur la paix civile, voire sur la souveraineté nationale». Des commissions sont sur le pied de guerre au ministère, en vue d'adapter la législation nationale aux conventions internationales ratifiées par la Tunisie, a-t-il déclaré en substance. Ghazi Jeribi a considéré indispensable et fort efficace la disposition du droit d'accès à l'information, tout comme la déclaration du patrimoine et la lutte contre les conflits d'intérêts, indiquant que c'est un combat de longue haleine. L'ambassadeur de France en Tunisie a jugé opportun de confronter les expériences franco-tunisiennes, mettant en avant le rôle de la coopération franco-tunisienne dans le domaine de la justice, administrée par le magistrat de liaison M. Vennetier, «dont la mission prend fin dans quelque temps». Olivier Poivre d'Arvor présente le classement de la France par Transparency international, «23e, derrière le Danemark et la Grande-Bretagne mais devant l'Espagne et l'Italie. Nous travaillons pour améliorer ce classement», a-t-il prôné, ajoutant que cette rencontre, la première, représente «un petit pas d'échange». A titre comparatif, la Tunisie, bien qu'ayant gagné quelques points, selon le rapport de la même organisation, demeure loin derrière, à la 75e place sur un total de 176 pays. Ilots d'intégrité Chawki Tabib a illustré d'entrée de jeu son propos par un chiffre effarant qui indique l'étendue du désastre produit par la corruption, les pratiques frauduleuses et la contrebande. Il en résulte une perte conséquente de «4 points de croissance». S'il a mis en avant les moyens dont dispose l'instance de lutte contre la corruption qu'il préside et le crédit que lui accorde le discours officiel, «il n'en est pas moins vrai que beaucoup reste à faire», a-t-il nuancé. L'invitée de marque, Eva Joly, a présenté avec humilité et en peu de mots son parcours de combattante de «25 ans à lutter dans ce domaine». Se débarrassant volontairement des contraintes du discours officiel, la députée lâche : «C'est très difficile de vaincre la corruption dans un pays où elle a touché le système et tous les domaines d'activités, comme c'est le cas dans le vôtre». Sans pour autant céder au défaitisme, la députée européenne montre une voie possible pour éradiquer la corruption ou du moins la combattre; «les îlots d'intégrité», célébrant plus d'une fois le rôle de la société civile, des lanceurs d'alerte, ainsi que celui de la surveillance populaire, mais également des jeunes magistrats inexpérimentés, tel ce «procureur qui a fait seulement les bagarres de samedi soir et un viol». Mutualisant leurs efforts, ils ont engagé des poursuites contre des banques, des entreprises, des gouverneurs dans des pays comme l'Islande ou l'Espagne et ont fini par obtenir gain de cause. Il faut désigner des gens intègres à la tête des instances chargées de contrôler la vie publique, «c'est la seule chose qui marche», précise-t-elle, définitive. Si à la corruption s'ajoute l'impunité, Mme Joly, reconnaît qu'il n'y a rien de pire que «de voir la corruption sur la table et que rien ne se passe». Les Tunisiens en savent quelque chose.