La saison télévisuelle ramadanesque aura eu le mérite, en dépit des navets qu'on nous a obligés à consommer, de sonner l'heure des réformes à engager, maintenant et plus que jamais, en particulier dans l'audiovisuel public. En attendant que la Haica sorte de sa timidité et impose sa loi aux TV privées rebelles Ramadan 2017 qui tire à sa fin aura constitué un moment particulier pour le paysage audiovisuel tunisien avec ses chaînes publiques et privées et aussi bien les téléspectateurs que les gens de la TV, toutes spécialités confondues, ne sont pas près d'oublier sitôt les affaires qu'on a vécues tout au long des vingt premiers jours du mois saint, le mois de la télévision par excellence en Tunisie, une tradition héritée de l'époque Bourguiba. De l'affaire Hassen Zargouni, le grand boss de Sigma conseil, qui a semé la panique dans le paysage audiovisuel dès la deuxième journée du mois en faisant trôner Al Hiwar Ettounsi à la tête de l'audience (donc la chaîne la plus prisée par les annonceurs) au limogeage de Elyès Gharbi de la direction de la TV nationale, en passant par la violence servie à gogo aux téléspectateurs par les feuilletons qu'on nous annonçait comme étant les merveilles du siècle, caméras cachées qui peuvent envoyer les malheureux participants aux hôpitaux, les sommes d'argent considérables que Sami El Fehri fait miroiter quotidiennement aussi bien aux participants à son émission «Dlilek Mlak» qu'à ceux qui passent leurs journées à envoyer des SMS à raison de 1 dinar 980 millimes le message dans l'espoir de gagner le gros lot, l'image dégradante et humiliante répercutée de la femme tunisienne par ce qu'on a appelé injustement la fiction ramadanesque, la banalisation ou le blanchiment (pour utiliser les termes à la vogue) de la corruption et du vol au point que nos jeunes prennent désormais «Ouled Moufida» pour l'exemple à suivre, etc. On aura tout vu, tout digéré et, plus grave, tout accepté, sous le faux prétexte de la liberté d'expression et de l'art dans un pays plongé dans une transition plurielle autorisant toutes les dérives possibles et toutes les atteintes imaginables au bon goût, à la morale et aussi à la mémoire collective (quand des animateurs venus de nulle part qui s'autorisent de nous réapprendre l'histoire du mouvement national dans des émissions de variétés). La Haica et le gouvernement réagissent mais tardivement Du côté du gouvernement, c'est le silence face à ce que les chaînes TV nous déversent quotidiennement jusqu'à une heure tardive de la nuit. La justification est toute simple : les TV sont libres et responsables et s'il y a un dépassement ou une dérive à sanctionner, c'est l'affaire de la Haica (la Haute autorité de l'information et de la communication audiovisuelle où Nouri Lejmi, le président, et Hichem Senoussi, le membre le plus médiatisé, se livrent une guerre fratricide de leadership et les initiés viennent d'en être édifiés lors de la polémique née à la suite des deux milliards remportés par une femme d'un âge assez avancé dans l'émission Dlilek Mlak). Quant aux divers communiqués publiés régulièrement par les syndicalistes de la TV sur la détérioration continue de la situation au sein de l'institution télévisuelle nationale et aux appels lancés au gouvernement pour y remédier, c'est également silence radio. Et l'irrémédiable de survenir : Elyès Gharbi oublie de faire passer le journal télévisé à son rendez-vous de 19h00, rendez-vous contesté par les professionnels de la TV puisqu'imposé contre leur gré. Et le P.D.G. de la TV d'être limogé illico presto et la Haica d'être invitée à exprimer son avis sur les conditions à mettre en place pour lui trouver un remplaçant. La Haica, elle-même, n'est pas exempte de reproches puisqu'elle a mis plus de deux semaines pour découvrir que les TV en exercice asphyxient les téléspectateurs de publicité en dehors des horaires qui lui sont assignés. Pour se pardonner, la Haica, qui a eu le grand mérite, il faut le rappeler, d'obliger Sami Fehri à retarder d'une heure la diffusion du feuilleton «Ouled Moufida» et à insérer une indication qui est destinée aux spectateurs de plus de 12 ans, s'est contentée de publier, ces derniers jours, un communiqué où elle rappelle aux TV concernées les conditions à respecter en matière de publicité. Pour ce qui est de l'affaire Elyès Gharbi, Nouri Lejmi, président de la Haica, estime que le procédé suivi par le gouvernement «est inacceptable et ne concorde pas avec la démocratie, l'indépendance des médias et la consolidation du rôle des instances de régulation». Sauf que le syndicat général de l'information relevant de l'Ugtt a une autre approche de l'affaire. Hier, Mohamed Saïdi, secrétaire général du syndicat, a diffusé un communiqué dans lequel il met les points sur les i sur l'affaire Elyès Gharbi. «Elyès Gharbi a consacré la politique du laisser-aller au sein de l'établissement et a montré son incapacité à engager les réformes nécessaires», souligne-t-il. Ces réformes sont connues de tout le monde et elles ont été révélées à plus d'une occasion. Elles concernent l'élaboration d'une loi sur les médias audiovisuels publics qui instaurera un conseil d'administration indépendant de tous les tiraillements politiques. Le conseil d'administration aura à désigner un directeur exécutif sur la base d'un contrat à objectifs. Ce contrat doit être discuté et adopté par le Parlement.