Voici 25 jours qui se sont écoulés du mois de ramadan. Le mois saint qui, comme chaque année, vient bousculer le quotidien et les habitudes. Bien que dans les préceptes, il rime avec retenue, dans nos contrées, il a de tout temps fait place nette à une boulimie de consommation. La rupture du jeûne représente,en effet, le coup de départ d'une véritable course effrénée pour étancher une soif principalement phycologique comme en attestent les invraisemblables chiffres de gaspillage alimentaire. Mais les aliments ne sont pas tout ce que consomme abondamment le Tunisien car, en soirée, c'est la télévision qui reprend ses droits. Si l'activité économique est partiuclièrement dynamisée pendant ce mois, le domaine audiovisuel fait figure de proue. Depuis quelques années, les nouvelles chaînes privées foisonnent. L'hégémonie du canal national laisse place aujourd'hui à l'opulence avec des chaînes comme El Hiwar Etounsi, Nessma, Hannibal et Attessia, dont les productions se taillent la part du lion dans nos soirées télévisées. Lors d'une conférence organisée vendredi, dans une salle de cinéma de la banlieue nord de Tunis, Hassen Zargouni, patron de Sigma Conseil, a tenté de présenter le tunisien à travers son comportement d'audience. Les chiffres révélés sont le résultat d'une enquête minutieuse réalisée auprès d'un échantillon représentatif sur 24 gouvernorats.
En ce mois de ramadan, les Tunisiens n'ont pas dérogé à la règle et ont été nombreux à regarder la télé comme chaque année pour découvrir les feuilletons et les émissions produits pour l'occasion et suivre ceux qui ont fait leur bonheur les années précédentes. Près de 9 millions de téléspectateurs tunisiens ont branché la télé locale le premier jour de ramadan. D'après les statistiques de Sigma, les chaînes les plus regardées cette année sont : Al Hiwar Ettounsi/First Tv qui se place à la première position avec plus de 6 millions de téléspectateurs, Nessma Tv avec plus de 4 millions de téléspectateurs, et Al Watania 1 avec 2 millions de téléspectateurs. Attessia, la nouvelle chaîne de Moez Ben Gharbia, qui se place à la 4ème position avec près de 2 millions de téléspectateurs, a été la surprise de l'année enregistrant un taux de pénétration de 18% le premier jour de son lancement. Les statistiques ont aussi révélé que le point culminant de la consommation télévisuelle locale se situe à 20h15. En effet, 65,4% des Tunisiens regardent la télévision à cette heure-là. Le moment où la majorité des téléspectateurs est accaparée par la télé au mois de ramadan est la tranche entre 20h00 et 21h15, c'est à ce moment là, et dans ce que Hassen Zargouni a appelé le tunnel étroit, que la guerre des feuilletons et des annonceurs fait rage.
Entre tops et flops, les feuilletons ramadanesques se sont livrés une guerre sans merci. Ils sont diffusés, pour la plus part, au même moment, obligeant ainsi le téléspectateur à faire son choix. Certaines chaînes ont offert, cette année, de nouvelles productions, d'autres, en revanche, ont préféré miser sur la suite de feuilletons qui ont su retenir l'attention des téléspectateurs l'an dernier. Le téléspectateur n'a pas toujours été au rendez-vous là où on l'attendait. Le feuilleton de la chaîne El Watanya 1, Naouret Lahwé 2, pourtant attendu, a enregistré, cette année, une part d'audience plutôt décevante, détrôné notamment par le feuilleton Ouled Moufida qui s'est très vite imposé à la première place avec un taux d'audience de 32,1%. Ouled Moufida a, en effet, attiré plus de 3.210.000 téléspectateurs suivi pas le jeu Dlilek Mlak et de Nsibti Laâziza. Attessia Tv, pourtant fraîchement débarquée dans le paysage audiovisuel, a pu placer deux de ses émissions dans le TOP 10. La caméra cachée Ettayara a enregistré un taux d'audience de 10,5% et la série Hala Adia 4,9%. Le feuilleton tunisien de la chaîne, Lilet Chak, a eu du mal, quand à lui, à s'imposer, avec un taux d'audience, comparativement faible, de 4,2%.
A noter que les statistiques présentées par Sigma, ont aussi concerné les taux d'audiences par région, par sexe, âge et catégorie socio professionnelle des téléspectateurs. Il en est ressorti une homogénéité, bien particulière à la Tunisie, selon Hassen Zargouni, du comportement d'audience. Les Tunisiens, toutes catégories confondues, et à peu de différences près, ont le même comportement audiovisuel et consomment les mêmes produits. Le produit le plus recherché étant la fiction, le Tunisien a, toujours selon Hassen Zargouni, un penchant pour le buzz et le trash. La télé, n'est pas neutre, et loin d'être uniquement un moyen de loisir elle permet de façonner les états d'esprit. Un compromis, pas toujours très clair, doit donc être trouvé entre la liberté de produire et ce que veut ou cherche le téléspectateur.
Le comportement audiovisuel du tunisien ne peut se limiter à être analysé par les chiffres. Car aussi étonnant que cela puisse paraitre, ou pas, ils sont loin d'être représentatifs de la tendance générale. Les chiffres évoqués ci-dessus se limitent à l'audimat et ne prennent pas en considération la portion non négligeable de ceux qui regardent sur internet les feuilletons qu'ils n'ont pas regardé lors de leur diffusion. On pourrait alors se rendre compte du taux de pénétration important de ces productions dans les foyers tunisiens. Paradoxalement, les réactions suscitées ne reflètent pas forcément cette large adoption et pour cause. En tête des sujets à polémique, Hkeyet Tounseya a voulu s'attaquer de face aux tabous tunisiens et ce sur plusieurs fronts. Les scènes qui exhibent drogue et alcool étant assez répandues depuis quelques années, le feuilleton innove en mettant au centre de l'intrigue une maison close gérée par un homosexuel déséquilibré. Dans la foulée, le téléspectateur suit une trame où interviennent proxénétisme, sorcellerie, adultère, couples interreligieux et autre sujets propices aux débats les plus enflammés, le tout servi dans une esthétique léchée et haute en couleurs. Sitôt l'épisode terminé, et aussi irrépressiblement que son envie de ne pas en rater une seconde, le Tunisien ne peut s'empêcher d'aller le fustiger sur les réseaux sociaux et dans les cafés. Rien n'échappe à son œil attentif. De la simple ironie postée avec nonchalance au discours véhément, et de ce fait quelque peu contradictoire, l'éventail des réactions est large et pourrait n'attester que d'une chose, comme le corroborent d'ailleurs les chiffres, si ce n'est du franc succès du feuilleton qui enregistre un taux d'audience de 15,5%. Cela dit, toujours pour le cas de Hkeyet Tounseya, cette agitation a poussé les différents protagonistes à se justifier à coup de déclarations interposées. Déclarations qui d'ailleurs galvanisent parfois encore plus la polémique comme notamment celle de l'une des actrices principales Myriam Ben Mami qui, dans une interview accordée à Shems FM, accuse le Tunisien de schizophrénie puisqu'il critique sévèrement le feuilleton qu'il regarde, selon les chiffres, assidûment.
Ouled Moufida, l'autre production ayant affolé les compteurs n'est pas en reste. Le feuilleton qui a enregistré un taux d'audience record, 81% des téléspectateurs tunisiens étaient devant leurs postes pour le dernier épisode de la série, a lui aussi eu sa part de critiques. Malgré ce tollé, force est de constater que toutes ces productions dédiées au mois de ramadan ont réussi le dur pari d'adaptation au Tunisien « moderne ». Les différents feuilletons cités ont su, à leur manière certes, mais indéniablement, accaparer l'attention du Tunisien quitte à le clouer derrière les écrans des heures durant.
Devant les limitations aussi bien juridiques que socioculturelles, les producteurs, les scénaristes et les acteurs eux-mêmes ont dû jongler avec ces interdits dans cet exercice périlleux visant à faire bonne figure tout en domptant ce Tunisien de plus en plus ouvert et en rivalisant avec les productions étrangères envers lesquelles il est beaucoup plus indulgent.