Balance théâtrale et musicale entre hier et aujourd'hui. «El maghroum yjeded», veut dire «que le passionné revienne une autre foi». Mais l'expression au complet (el barani ala bara wel maghroum yjeded) est une manière de dire aux gens que la fête est finie et qu'ils doivent partir. Et c'est ce qu'on criait, jadis, aux spectateurs des cafés chantants (Cafichanta) de Tunis, quand le spectacle prenait fin. El maghroum yjeded, c'est aussi le titre en arabe de cette nouvelle création écrite par Habib Belhadi et mise en scène par Lassad Ben Abdallah et qui sera présentée en avant-première le 21 août à la 53e édition du festival international de Hammamet. Il s'agit, en fait, de la première partie d'une série de 5 pièces programmées pour la saison prochaine à la salle Le Rio et qui traitent de cet art spontané qui existait dans les quartiers populaires, et de la façon dont il cohabitait avec cette écriture intellectuelle née avec «Jamaâ taht essour». Ce dernier est un groupe de chansonniers, journalistes, libres-penseurs, anticonformistes, pessimistes et désespérés de leur état, qui se réunissaient dans un café situé dans le quartier Bab Souika, contre les remparts de la médina de Tunis, et qui se vengeaient de l'adversité par l'ironie et l'humour noir. Revisiter l'art populaire, les cafés chantants d'antan et tous ces artistes tels qu' Ismail Hattab, Aicha et Mamia, Zina et Aziza...dont les noms dépassaient largement les affiches, n'est pas une fin en soi. D'après l'auteur, l'idée de cette création est partie de là pour replonger dans l'époque des années soixante et ses soubresauts politiques. Le cadre historique du spectacle se situe exactement en 1968, soit 12 ans après l'indépendance de la Tunisie. Une époque où passion et opportunisme n'étaient pas antinomiques. D'où vient cette obligation du spectaculaire, et cette littérale «folie» à laquelle la société était désormais tenue pour émerger de la montée des eaux de cette «toute venante» liberté ? Des tas de questions, des tas d'évènements et une lecture qui servira peut-être à relativiser ce que nous vivons aujourd'hui. Dans le concept d'«Au suivant» — le titre de la pièce en français — ce va-et-vient entre hier et aujourd'hui sera mis en scène. Un écran projettera le public de la pièce dans celui, en noir et blanc, des cafés chantants. Le champ est libre, par la suite, pour toute identification. Sur ce même écran, on projettera des images d'archives des évènements et de certaines personnalités militantes et politiques. Le live, c'est la fiction. Et c'est la vie compliquée de «Mehrez», un destourien mi-voyou, mi-militant, qui dirige un café chantant à Bab Souika. La veille de ramadan 1968, Mehrez se retrouve confronté à de nouvelles difficultés, syndrome d'un pays en plein changement. Les personnages interprétés par Meriem Essayeh, Guissela Nafti, Jamel Madani, Fethi M'sselmani, Farhat Jedidi, le musicien accordéoniste Hatem Ellejmi, et le nouveau visage Wejdi El Borji, feront remonter le temps en couleur et en noir et blanc. La musique qui nous plongera, entre autres, dans le répertoire de Salah Khémissi (1912-1958), un des pionniers de la chanson humoristique tunisienne, est signée Sami Ben Said, arrangeur compositeur. Après Hammamet, cette comédie inaugurera la saison culturelle au Rio sur un cycle de deux mois.