« 139 journalistes ont été victimes d'une centaine d'agressions, subies au cours des six derniers mois, dans la période allant de mars à août 2017. Ceux-ci travaillent dans 22 radios, 20 chaînes TV, 14 sites électroniques, ainsi que deux agences et deux journaux », recense le rapport semestriel élaboré, récemment, par l'Unité de monitoring et de documentation sur les agressions faites sur les journalistes, avec pour thème « l'Etat des lieux de la liberté des médias en Tunisie ». Ces statistiques ont été données lors d'une conférence de presse, tenue hier matin, au siège du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt). Ce bilan est si inquiétant qu'il verse, malheureusement, dans l'impunité des accusés. Soit une forme de violence tolérée, dont l'auteur n'est plus uniquement la police. S'y rallient, entre autres, fonctionnaires publics, politiques et même simples citoyens. L'homme des médias est-il, sérieusement, menacé ?, doit-on se poser ainsi la question. Coordinatrice de cette unité d'observation, déjà intégrée au sein du Snjt, Khawla Chabbeh a fait remarquer que les procédures judiciaires menées, à cet effet, semblent avoir un rythme à deux vitesses. «Elles sont rapides en cas de jugement des journalistes, elles le sont moins dans le cas contraire», relève-t-elle. Comme s'il y avait deux poids deux mesures. Et de déduire que le métier n'est plus en sécurité. Selon le rapport, le mois de juin fut le plus violent, avec 24 cas d'agressions signalées, suivi d'avril et de mars derniers (22 et 20 cas). De même, outre le Grand Tunis, Kairouan, Nabeul et Tataouine viennent en tête des régions théâtres d'agressions corporelle et morale, faisant fi des décrets 115 et 116 régissant, jusqu'alors, le secteur. En attendant, a-t-elle souhaité, que le nouveau projet de loi l'organisant soit adopté, dans les plus brefs délais. La liberté de la presse est-elle en danger ? Toutefois, ces cas d'agression dont les journalistes ont toujours été la cible ne sont guère un fait nouveau, voire un comportement récidiviste qui se produit dans l'impunité totale. Et c'est là que le bât blesse. Ce dont s'alarme le président du Snjt, Neji Bghouri, évoquant qu'un tel état des lieux, aussi critique soit-il, est de nature à rétrécir la marge des libertés et réduire les médias à des forums de débat détourné. Et d'ajouter que la crise dont souffre le secteur, l'argent sale et l'intrusion, sans coup férir, des lobbies manipulateurs n'ont pas manqué d'aggraver la situation. Par conséquent, dit-il, le journaliste est devenu de plus en plus fragile, sujet à toute forme d'agression. Le non-accès à l'information demeure encore pénalisant. Il y a là des craintes à dénoncer : « l'autocensure et le musellement des médias », fustige-t-il. Et de conclure que l'impunité encourage la multiplication des agressions. L'Etat semble-il complice de ces faits, dans la mesure où il protège les accusés ?, s'interroge maître Mondher Cherni, conseiller juridique auprès de l'Unité de monitoring concernée. L'avocat a tenu à remettre en cause le phénomène de l'impunité et le projet de loi sur la répression des atteintes contre les forcées armées. Ce dernier est jugé liberticide. « Une fois adoptée, cette loi serait un prétexte pour que tout journaliste demandeur d'information soit condamné à 10 ans de prison», prévient-il.