Houssem Ben Ammar se lance dans une sorte de psychanalyse triviale de l'écume des jours ; là où le quotidien de la vie d'un couple est irrésistiblement dilué par des habitudes mornes et répétitives. Mais c'est au cœur de ces mêmes habitudes qu'ils puiseront la force d'allumer une petite flamme qui porte en elle la promesse de la résignation, voire de la rédemption. Cela commence mal, comme il se doit pour un roman ponctuant la tristesse et regardant lascivement l'écume des jours. Un cadre bancaire, ou plutôt l'ombre de lui-même, a perdu celle dont il s'est épris si ardemment pour en épouser une autre une année après avoir abandonné tout espoir, peut-être trop facilement, face à l'adversité de son ami le plus intime qui a su l'attacher à lui, la rendant sienne. Des procédés de siège «Je l'ai vue, connue, le premier !», aurait-il pu s'écrier et l'arracher énergiquement des mains et de l'envoûtement que savait si bien déployer cet ami de toujours, tellement plus expérimenté dans le commerce des tendres et chères. Le savoir-faire lui manque, il ne sait pas comment on parvient à attacher une femme à soi, il soupçonne des stratagèmes mais n'identifie que des procédés de siège, une présence inlassable. Il lui manque aussi le savoir tout court, à quel moment tenter quelque chose et laquelle et comment. Elle est européenne, élancée, diaphane, sportive, enjouée. Peut-être ne saisit-il pas qu'elle finira par se lasser de tant de sagesse. Peut-être ne voit-il pas qu'elle a besoin de sentir le tumulte autour d'elle, la vie, la passion. En vérité, il ne comprend pas encore comment il l'a perdue, mettant tout sur le dos de cet ami entreprenant, omettant d'insérer cette femme aimée dans l'équation du choix. Dans le secret de son cœur, il reste sien, se refusant à tirer un trait. Comme une âme en peine, il voit quand même sa passion s'éroder au fil du temps et il se résout enfin à troquer cette Européenne adulée mais jamais conquise contre une Tunisienne tolérée mais totalement conquise comme il se doit pour une épouse. Un mariage de raison ? On ne sait pas trop car cette épouse toute menue, attentive, dévouée sans trop le faire voir, est sans doute à insérer dans cette nouvelle équation. Oisiveté, vices et renaissances Tout compte fait, il retrouve un certain équilibre. Il a un bon emploi grâce à son beau-père, il a une compagne, il a ses moments de paix dans la petite pièce qu'il s'est adjugée chez lui comme un nid dans le nid... A part cela, il a beau chercher, il ne trouve rien, sinon ressasser ses anciennes amours... et un trésor : la lecture encore et encore. Sans s'en rendre compte, l'écriture elle-même ne peut rien contre le sentiment d'oisiveté qui le pousse en dehors des surfaces de la tempérance qu'il a su garder jusqu'alors. Entraîné par son ami, plutôt son âme damnée, il tente quelques ébauches jamais abouties d'adultères mais surgit alors comme un réflexe, un instinct de survie, une lucidité propre aux plus équilibrés d'entre nous. Il semble craindre cet ami qui lui a fait perdre celle qu'il aimait et qui pourrait lui faire perdre son respect pour lui-même. De la lecture, voici qu'il passe tout naturellement à l'écriture. Une écriture contre l'oisiveté, contre la tristesse, quelque chose de plus fort que la perte d'une femme jamais atteinte. Pourtant, cette perte semble être l'un des moteurs qui le pousse à l'écriture. A-t-il besoin d'une autre moteur ? Son épouse et lui attendent enfin un enfant. La renaissance par l'écriture et par la naissance d'un modérateur au sein d'un couple qui en a bien besoin. Le nectar de l'aloès, 241p., mouture arabe Par Houssem Ben Ammar Editions Arabesques, 2017 Disponible à la librairie Al Kitab, Tunis.