Le soutien européen à la Tunisie devrait être accompagné de plus de flexibilité, essentiellement au niveau économique et commercial. Il faudrait œuvrer à la sensibilisation des entreprises européennes aux difficultés que connaissent les exportations tunisiennes A l'issue de sa visite en Tunisie, Antonio Tajani, président du Parlement européen, a été accueilli hier au siège de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (Utica) afin de faire la lumière sur le partenariat entre la Tunisie et l'Union Européenne. Un partenariat historique et important qui s'est consolidé depuis la signature de l'accord de libre-échange, mais qui suscite actuellement de plus en plus de débat surtout avec les négociations sur l'Accord de libre-échange complet et Approfondi (Aleca) et sa portée controversée de part et d'autre. Mais cet accord ne pourra être discuté hors de l'optique de renforcement de la coopération à tous les niveaux et dans l'esprit d'une relation gagnant-gagnant. La conférence de l'Utica a porté sur le partenariat privilégié Union européenne-Tunisie au service de l'investissement, de la croissance et de l'emploi, avec la présence du chef du gouvernement Youssef Chahed et une panoplie de représentants des missions diplomatiques, d'hommes politiques et d'hommes d'affaires. Devant cette audience, M. Tajani était clair: la Tunisie n'est pas seule pour faire face aux défis qu'elle affronte, essentiellement la relance économique et la réduction des inégalités régionales et socioéconomiques. "Vous n'êtes pas seuls, nous sommes à vos côtés. Le partenariat stratégique entre l'UE et la Tunisie est bien établi. Vous pouvez compter sur notre soutien pour la promotion du développement démocratique, social, économique et technologique du pays, notamment à travers notre soutien au plan stratégique de développement 2016-2020 ", affirme-t-il. Il ajoute que la contribution financière de l'UE à la Tunisie a plus que doublé depuis 2011, avec une aide totale (UE et Banque européenne de développement) s'élevant à environ 3.5 milliards d'euros durant la période 2011-2016. Le responsable européen a également insisté sur l'importance de la participation de la Tunisie à plusieurs programmes tels que "Erasmus+" pour les échanges universitaires et d'autres actions pour soutenir l'enseignement et la formation. Ce programme permettra, selon lui, dans les prochaines années, à près de 1500 étudiants et enseignants de se former et d'enseigner en Europe et en Tunisie, ajoutant qu'il souhaiterait voir le programme Erasmus pour jeunes entrepreneurs élargi à la Tunisie et l'Afrique. Il s'agit également du programme "Horizon 2020" pour la recherche et l'innovation, "Europe creative" pour les secteurs audiovisuel, culturel et créative et le réseau "Entreprise Europe", dédié à l'innovation et l'internationnalisation des entreprises. Exigence de flexibilité De son côté, le chef du gouvernement Youssef Chahed a insisté sur la portée historique des relations tuniso-européennes et l'importance du soutien européen à l'application des réformes économiques que le gouvernement est en train d'entreprendre. Il a souligné que la Tunisie fait face à d'importants défis socioéconomiques , essentiellement au niveau de la maîtrise des déficits financier et commercial et de la création d'emplois. "Nous nous réjouissons du soutien profond du Parlement européen sur les plans politique, économique et social. Un soutien qui a été renforcé avec sa décision concernant l'approbation de deux opérations d'assistance macro-financière au profit de la Tunisie, respectivement de 300 millions d'euros et de 500 millions d'euros", précise M. Chahed. Mais il a affirmé que ce soutien devrait être accompagné de plus de flexibilité, essentiellement au niveau économique et commercial, appelant le président du Parlement européen à œuvrer à la sensibilisation des entreprises européennes des difficultés que connaissent les exportations tunisiennes. Il a également évoqué le plan d'action pour le partenariat privilégié pour la période 2013-2017 qui a contribué au renforcement de la coopération et sa diversification. Toutefois, il n'a pas réalisé entièrement les objectifs escomptés ni satisfait les attentes face aux grands défis que connaît la Tunisie. M. Chahed a exprimé son souhait que le plan d'action stratégique pour la période 2018-2020 puisse donner plus d'importance aux priorités économiques de la Tunisie telles qu'établies dans le Plan quinquennal pour le développement 2016-2020. "En plus du cadre politique de coopération 2018-2020, il est devenu primordial de réfléchir à une approche plus large dans la conception des relations entre la Tunisie et l'Union Européenne après 2020", indique-t-il. Le chef du gouvernement a ajouté que les résultats des réunions de Bruxelles en juillet 2017 et de Tunis en octobre 2017 autour du nouveau cadre de coopération constituent des avancées dans la garantie d'un bon positionnement de la Tunisie pour l'intégration dans l'espace européen, suivant les recommandations de la 13ème réunion du Conseil de partenariat tuniso-européen tenu à Bruxelles, le 11 mai 2017. En deçà des espérances et des capacités de la Tunisie Du côté du secteur privé, Hichem Elloumi, vice-président de l'Utica, a signalé que l'importance de l'appui de l'UE pour la Tunisie est manifeste à travers plusieurs programmes à vocation économique, à l'instar du Programme de Mise à Niveau de l'Industrie tunisienne (PMN) qui a permis le développement d'un tissu industriel performent et ouvert sur les marchés internationaux, le Programme National de la Qualité (PNQ), le Programme de Mise à Niveau de la Formation Professionnelle (Manform) et le Programme d'Appui à la Compétitivité des entreprises et à la facilitation de l'Accès au Marché (Pcam). "Mais ce partenariat est resté en deçà des espérances et des capacités de la Tunisie, pays qui veut se hisser au niveau de ses partenaires européens et aspire à bénéficier d'une coopération, d'un appui et d'une assistance similaires sinon proches de celle dont ont bénéficié les pays récemment admis dans l'UE, et dont les économies étaient similaires à celle de la Tunisie d'hier, des pays qui ont réussi leur transition démocratique grâce à l'appui soutenu de leur économie par l'Europe", lance-t-il. Un dossier controversé Concernant le dossier de l'Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca), le président du parlement européen a estimé qu'il s'agit d'une opportunité importante pour renforcer les liens économiques entre les deux pays, accélérer les réformes économiques et soutenir la diversification et la modernisation de l'économie tunisienne. Un accord qui permettrait, selon lui, aux produits et services tunisiens d'accéder plus facilement à un marché européen de 500 millions de consommateurs et favoriserait les conditions d'investissement et le climat des affaires par un cadre réglementaire plus prévisible et plus proche de celui de l'UE. Il permettra à l'économie tunisienne de s'adapter progressivement aux normes européennes et de bénéficier de la reconnaissance mutuelle des produits et la réduction des barrières techniques et administratives et des duplications des normes. "Il s'agit d'un accord asymétrique et progressif à l'avantage de la Tunisie avec une ouverture commerciale et un rapprochement réglementaire adaptés aux priorités choisies par la Tunisie en tenant compte des spécificités de son économie", affirme-t-il. Un avis que partage le chef du gouvernement tunisien, estimant que la Tunisie a réitéré son engagement pour poursuivre les négociations sur l'Aleca, afin d'accélérer le rythme des réformes. Mais il a indiqué qu'il faudrait adopter une approche progressive prenant en compte les spécificités, les points forts et les points faibles de l'économie tunisienne. Pour le vice-président de l'Utica, cet accord devrait être un cadre pour promouvoir un codéveloppement qui profiterait aux deux parties, tout en prenant en compte leurs poids économiques différents. "Nous souhaitons que cet accord aille au-delà du simple établissement d'une zone de libre-échange pour aboutir à la dynamisation des flux d'investissement, à la promotion des synergies industrielles et agricoles ainsi qu'au renforcement du dispositif d'appui à la politique nationale de recherche & développement", explique-t-il. M. Elloumi a également appelé à l'adoption d'un programme similaire au PMN pour le secteur agricole, les filières agroalimentaires et le secteur des services, soulignant que la facilitation de l'accès des produits tunisiens au marché européen est à considérer en toute priorité, en éliminant les quotas, à l'exemple de l'huile d'olive, des barrières tarifaires et non tarifaires comme pour les fruits et autres et la révision des règles d'origine pour le secteur textile et habillement. De même, il souligne que l'Aleca devra faciliter les procédures d'octroi des visas pour certaines catégories de personnes, à l'instar des étudiants, des chercheurs et des responsables et cadres d'entreprises, afin de permettre de promouvoir la Tunisie comme un hub régional propice à l'émergence d'une coopération triangulaire Europe-Tunisie-Afrique.