Dans la Tunisie post-révolution, tout le monde s'est proclamé donneur de leçons en matière de démocratie et de liberté, s'octroyant le droit de dire aux autres ce qu'ils doivent faire pour gagner les élections. En attendant ces élections, ils voient, impuissants, leurs partis se vider quotidiennement Quand un politicien tunisien de l'élite post-révolution lance une phrase, analyse un événement, participe à un débat télévisé ou accorde une interview à un journal de la presse écrite, il faut s'attendre toujours à une surprise, à des termes déplacés, voire insultants pour ses adversaires ou ses alliés et même les membres de son propre parti et, enfin, il faut prévoir le déclenchement d'une fausse querelle et d'un débat de pacotille, qui ne font que renforcer le fossé qui sépare désormais les Tunisiens de «leurs leaders» partisans et de montrer qu'il n'est pas facile de s'imposer leader d'opinion et éclaireur d'avenir quand on ne sait pas faire la différence, à l'instar de l'universitaire Khaled Chaouket, entre une opportunité de formation et une offre d'emploi. Et les citoyens qui suivent quotidiennement les promesses des leaders des partis politiques au pouvoir ou dans l'opposition et des responsables des organisations professionnelles, notamment les deux centrales syndicales patronale et ouvrière, de découvrir que contrairement à ce que l'on dit, nos leaders disposent d'un programme commun qu'ils ont élaboré et peaufiné sans avoir à se rencontrer ou à dialoguer : il s'agit tout simplement du dénigrement quotidien de l'autre et surtout de la propension excessive à donner des leçons aux autres et à leur dire ce qu'ils doivent faire pour que l'expérience démocratique réussisse comme le veulent ces donneurs de leçons gratuites au point qu'ils n'hésitent plus à proposer à leurs adversaires ou à leurs alliés de désigner tel responsable à tel poste, de les réprimander et de les accuser de cécité ou d'ineptie politique au cas où ils n'accéderaient pas à leurs désirs ou ne partageraient pas leurs analyses savantes sur les développements qui traversent la scène politique nationale et déterminent, dans une large mesure, les contours du devenir national. Et ces convulsions, ce sont Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Samia Abbou, Abdelfattah Mourou, Lassaâd Yacoubi, Mohsen Marzouk, Nabil Baffoun et Anouar Belhassen qui les gèrent en nous soufflant la position qu'il faut prendre sur telle ou telle affaire parce que c'est la meilleure position qui assure le meilleur tribut. Et les exemples ne manquent pas. Ainsi, Issam Chebbi, le secrétaire général d'Al Joumhouri, martèle-t-il à longueur de journée que «Youssef Chahed, le chef du gouvernement nidaiste qui s'est installé au palais de La Kasbah grâce au soutien de Nida Tounès, est bien sous la coupe du parti dirigé par Hafedh Caïd Essebsi et qu'il est temps que Chahed se libère des pressions du chef de son parti et refuse d'écouter ses conseils afin que le gouvernement d'union nationale ne tombe pas». A lire les déclarations de Issam Chebbi, on découvre une nouvelle théorie politique : un chef de gouvernement appartenant au parti politique vainqueur des élections et soutenu par ce même parti doit boycotter son propre parti, faire la sourde oreille à ses propositions et appliquer systématiquement ce que l'opposition lui suggère. Une approche le moins qu'on puisse singulière et sans précédent dans les annales de l'action politique nationale ou internationale. Sauf que dans la Tunisie post-révolution, rien n'est plus étonnant et nos politiciens ne finiront jamais de nous surprendre par leurs déclarations ou leurs analyses qui montrent que leur déni de l'autre et leur entêtement à avoir toujours raison et à tordre le cou à la raison et à la logique n'ont d'égaux que leur inculture politique et leur «cécité démocratique». Ghazi Chaouachi, le SG du Courant démocratique, le député chargé d'assurer l'avenir législatif national, n'hésite pas à appeler à fermer l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois parce qu'elle n'a pas avalisé le recours que lui ont soumis le successeur de Mohamed Abbou et ses amis contre la loi sur la réconciliation administrative. Une position le moins qu'on puisse dire inadmissible de la part d'un juriste dont la tâche est de préserver la crédibilité des instances indépendantes après la révolution et d'œuvrer à les renforcer et non à les attaquer et à les dénoncer parce qu'elles n'ont pas rendu les avis qu'on attendait. Mourou et le discours multiple Quant à Abdelfattah Mourou, vice-président d'Ennahdha et du Parlement, il se permet de donner les leçons qu'il faut aux deux édificateurs du consensus national, Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, pour leur dire que le pacte de Paris en date d'août 2013 est menacé de rupture à tout moment parce qu'il n'a pas été consigné noir sur blanc et aussi parce que ses deux initiateurs sont très âgés, ce qui constitue une menace sérieuse pour qu'il se poursuive au cas où... Les propos de Mourou ayant provoqué un débat houleux, son parti s'est contenté de souligner qu'il parlait en son nom personnel, oubliant qu'il s'exprimait à Genève dans un journal des plus sérieux et qu'il porte désormais deux casquettes, la vice-présidence d'Ennahdha et celle du Parlement. Quant à Mourou lui-même, il a indiqué qu'il n'a fait que dire haut ce que les autres disent en secret. De son côté, Mohsen Marzouk compte ses amis pour découvrir qu'ils se rétrécissent comme peau de chagrin et poursuit sur les ondes des radios privées ses «leçons de démocratie partisane» qui lui permettent de congédier Mondher Belhaj Ali, Walid Jellad et Mustapha Ben Ahmed, d'une part, et de recruter, d'autre part, Mohamed Jegham, qui a accepté de dissoudre son parti et de rejoindre Al Machrou auprès de Sadok Chaâbane et Slah Maâoui. Du côté de l'Isie, Nabil Baffoun et Anouar Belhassen continuent à faire la pluie et le beau temps même si au Parlement on leur a donné une correction qui restera dans les annales des instances indépendantes nées à la faveur de la révolution. Les députés ayant, semble-t-il, décidé de se laver les mains de l'élection du successeur de Chafik Sarsar, on veut maintenant, sur intervention des associations de la société civile, jouer les pompiers de la démocratie bloquée et pousser les membres du Conseil de l'Isie à choisir eux-mêmes un président consensuel en la personne d'un candidat unique, ce qui obligera les députés à lui accorder les 109 voix qu'il faut. Donc, c'est aux membres du Conseil de l'Isie de choisir eux-mêmes leur prochain président et aux députés d'avaliser ce choix. L'idée a été soufflée publiquement par les associations Mourakiboune et I Watch qui veulent en finir «avec cette comédie de vote interminable».