La salle de cinéma l'Africa, fermée depuis juin 2011, a rouvert ses portes dimanche dernier pour accueillir les Focus programmés cette année dans le cadre de la 28e édition qui a démarré le 4 novembre et se poursuit jusqu'au 11 du même mois. C'est l'Algérie qui a ouvert le bal des Focus suivie de l'Argentine. Au programme aussi l'Afrique du Sud et la Corée du Sud. En présence d'une salle pleine, Néjib Ayed, le directeur de cette édition des JCC, a donné le coup d'envoi des Focus en présence de Mohamed Zine El Abidine, ministre des Affaires culturelles, de l'ambassadeur d'Argentine et de quelques invités algériens, dont l'équipe du film «Crépuscule des ombres» de Mohamed Lakhdar Hamina. Le directeur des JCC a tenu à rappeler que plus de 200 techniciens tunisiens travaillent dans le secteur audiovisuel en Algérie. Pour sa part, le ministre des Affaires culturelles a souligné les relations d'amitié qui lient l'Algérie et la Tunisie dans plusieurs secteurs, notamment la sécurité et le tourisme. Ne pouvant pas se déplacer à Tunis, le réalisateur Mohamed Lakhdar Hamina, 83 ans, a délégué son fils Malik Lakhdar Hamina pour présenter le film en première aux JCC. Ce dernier a félicité le savoir-faire des trois techniciens tunisiens présents dans la salle et qui ont travaillé sur le film. Par-delà le bien et le mal «Crépuscule des ombres» marque le retour au cinéma de Mohamed Lakhdar Hamina après trente années d'absence. L'auteur de «Vent des Aurès» et de «Chroniques des années de braise», Palme d'Or à Cannes 1975, aborde, dans ce road-movie infernal, les crimes de la France coloniale en Algérie à travers l'errance dans le désert d'un combattant de l'ALN, d'un officier français et de son subordonné opposé à la torture. Le pardon, la repentance, la reconnaissance des crimes coloniaux et la résistance algérienne face à l'occupant français sont autant de thèmes sur lesquels le cinéaste revient avec insistance, une manière de rafraîchir les mémoires sur cette sombre page de l'histoire algérienne dont les séquelles restent encore vives. Durant deux heures, on suit le destin croisé de Khaled (Samir Boitard), jeune moudjahid aux convictions inébranlables formé à la Sorbonne, du commandant Saintenac (Laurent Hennequin), ancien d'Indochine, décidé à «défendre l'Empire» en employant les manœuvres les plus abjectes, et de Laurent (Nicolas Bridet), jeune appelé aux idéaux humanistes et objecteur de conscience en désaccord avec les pratiques de son supérieur. La première partie du film apporte un éclairage sur les motivations des trois personnages, à travers l'évocation de leurs enfances respectives, en s'attachant à montrer l'influence des discours (colonialiste, résistant ou humaniste) des adultes sur leurs futurs choix de vie. La deuxième partie du film prend un autre tournant. Elle est consacrée à la longue errance dans le désert des trois personnages — Laurent ayant kidnappé son commandant après avoir refusé d'exécuter Khaled —, un voyage où vont s'affronter des visions contradictoires sur le bien-fondé des pratiques de l'armée française (torture, exécutions sommaires, massacre des populations) ou des nobles raisons qui motivent la résistance armée des Algériens à l'occupation. Le discours des trois protagonistes prend une tournure spirituelle par-delà le bien et le mal. Le film s'étire en longueur et s'enlise peu à peu dans le sable d'un Sahara à la beauté sublime. Malgré quelques défauts, le film tire son épingle du jeu grâce aux magnifiques plans panoramiques, aux combats contre la chaleur et la soif dans ce désert où la résistance physique devient une épreuve de survie pour les trois personnages, qui, malgré leur différence, sont contraints de s'unir et de dépasser leur animosité pour s'en sortir. La bande-son aérienne signée par le compositeur grec Vangelis donne de la force et de l'ampleur aux différentes séquences. Mohamed Lakhdar Hamina a réussi à transcender la question coloniale en créant une ambiance mystique où les questionnements sur Dieu et sur le pardon supplantent progressivement les premières questions politiques et morales. Cette progression du propos du film s'accentue dans les dernières scènes où les trois personnages se retrouvent à la frontière de la «zone interdite» de Reggane (Adrar) où ont lieu les premiers essais nucléaires français en février 1960. On regrette, toutefois, certaines scènes peu crédibles, notamment les longues tirades politiques et philosophiques des personnages assoiffés et amochés. Coproduit par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (Aarc) et la société privée Sunset Entertainment, «Crépuscule des ombres» a été tourné en dix semaines avec un budget d'environ 5,5 millions d'euros. «Le film n'est pas sorti en Algérie en raison de l'absence de distributeur», a déclaré Malik Lakhdar Hamina, co-scénariste du film. Le Focus cinéma algérien se poursuit avec une sélection de films : «Ibn Badis» de Basil Al Khatib, «L'Oranais» de Lyes Salem, «La citadelle» de Mohamed Chouikh, «La preuve» de Omar Halkkar, «Les vacances de l'inspecteur Tahar» de Moussa Haded, «Lotfi» d'Ahmed Rachedi, «Raachida» de Yamina Bachir Chouikh, «Rani Miyet» de Yacine Mohamed Benelhadj, «Timgad» de Fabrice Ben Chaouche, «Yemna» de Djamila Sahraoui et «Zabana» de Said Ould Khalifa. On regrette l'absence de film du grand cinéaste Merzak Allouache, auteur du célèbre «Omar Gatlato».