Intéressants ces portraits de cinéastes méditerranéens réalisés par Laurent Billard dans le cadre d'une collection intitulée «Un certain regard» et projetés lors de la deuxième journée de la 5e édition de Doc à Tunis. Ils étaient quatre et leur point commun : la réalité d'un cinéma militant. Mais le portrait qui nous a chopés le plus, est celui du Palestinien Elia Souleymane. Cela commence par un voyage vers la cisjordanie pour la projection de Chronique d'une disparition (1996), long métrage longtemps censuré et que le public de la cinémathèque Al Kasabah à Ramallah devait voir pour la première fois. On le sait silencieux dans ses fictions où il se donne toujours un rôle, mais dans le film de Billard, Elia Souleymane ne lâche pas le micro. Il parle à n'en plus finir et ce qu'il dit est en parfaite congruence avec son cinéma. Si les territoires occupés sont parsemés de check-points, Souleymane parle de check-points internes…Si tout le monde parle d'un Etat palestinien, le cinéaste rêve de produire du désir et du plaisir…Si les autres s'expriment par le tragique, lui ne croit qu'en l'humour et la dérision…Il provoque l'ennemi et adore jouer avec son arme : le cinéma et toutes les nouvelles techniques qui lui permettent d'aller jusqu'au bout du sens. D'ailleurs, conclut Billard, le véritable pays d'Elia Souleymane, c'est le cinéma. Mohamed Malass, le Syrien est plus amer. En 30 ans de métier, il n'a réalisé que 4 longs métrages, mais ce n'est pas ce qui le préoccupe. Filmé dans tous ses états lors d'un tournage difficile dans un quartier populaire de Damas, Malass avoue qu'il lui a peut-être fallu traverser toutes ces ruines de Qunaytra, sa ville natale rasée par Israël en 1974, pour faire ses films. Le cinéma d'auteur n'est-il pas l'expression d'une mémoire personnelle et d'un ressenti ? Dans Les rêves de la ville ou dans La nuit, Malass cherche toujours ce qu'il a perdu. Le cinéma pour lui, c'est ça : la recherche de quelque chose de perdu. Son sujet : c'est toujours la Syrie, son passé, son présent et son avenir, mais aussi l'être et le réel. Mohamed Chouikh, l'Algérien, quant à lui, était comédien avant de devenir réalisateur. Il a joué aux côtés de Marie-Josée Nat dans Elise ou la vraie vie et sous la direction de Lakhdar Hamina dans Le vent des Aurès et bien d'autres films. Insatisfait, il a choisi de devenir réalisateur-auteur pour assumer toute la responsabilité d'une œuvre. Soutenu par son épouse, monteuse, productrice et réalisatrice, ses enfants dont la jeune cinéasteYasmine, il s'aventure en famille dans un secteur qui a du mal à survivre…Mais depuis L'arche du désert ou La citadelle où le cinéaste algérien dévoile une société écrasée sous le poids des traditions, Chouikh ne jette pas l'éponge, il résiste encore, continue à rêver malgré une réalité où le cinéma national «repose» dans une filmothèque…C'est là où Billard devait rencontrer Chouikh, retenu par une maladie qui l'avait cloué sur un lit d'hôpital. Le dernier portrait a été celui de Nouri Bouzid dont le premier film L'homme de cendres a marqué la relance du cinéma tunisien et le début d'un tournant. On le sait, Bouzid adore bousculer les tabous, aborder des sujets brûlants, révéler des personnages marginaux, revisiter le passé politique pour parler du présent, mais on n'a jamais connu son univers intime : sa maison pleine de gadgets et d'accessoires de cinéma, sa collection de taille-crayons et de claps et son autre passion : le bricolage. Dans cette maison semblable à une caverne d'Ali Baba, il y a un détail sur lequel l'objectif de la caméra de Billard a insisté : une photo de Bouzid assis sur un perron en compagnie d'une petite fille (la sienne probablement) et qui ressemble fort au fameux poster du Kid de Chaplin. A croire que Bouzid n'a pas fini de raconter l'enfant qui est en lui.