D'aucuns affirmeraient que le scénario qui se prépare consisterait en l'éviction des ministres et des secrétaires d'Etat des partis qui n'ont pas ménagé de leurs critiques Ennahdha et Nida Tounès, à savoir Afek Tounès et Al Massar, et leur remplacement par des membres de l'UPL ou par des proches de la nouvelle Troïka. Les membres du gouvernement appartenant aux partis «rebelles» ont été sommés de choisir entre le gouvernement et leurs formations politiques Après le parti Al Joumhouri, c'est au tour d'Afek Tounès de décider de quitter le «gouvernement d'union nationale». Une décision attendue à la suite du vote dispersé de ses députés de la loi de finances pour l'année 2018. Bien plus, Afek a annoncé, à l'issue de son conseil national tenu samedi 16 décembre 2017, de se retirer du «Document de Carthage». Son président, Yassine Brahim, s'est montré très critique vis-à-vis du gouvernement dont la politique socioéconomique «n'est pas claire». Il a déploré «les mesures décidées dans le cadre de la loi de finances, et qui vont à l'encontre des appels lancés pour la libéralisation du secteur économique et pour l'intégration du secteur informel dans le système légal». Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a «une équipe qui n'est pas la sienne», a-t-il, notamment, affirmé. Il n'a pas, non plus, ménagé de ses critiques le consensus entre Nida Tounès et Ennahdha, estimant que cette expérience politique a «lourdement échoué» et ne peut plus faire l'objet de confiance de la part des Tunisiens. Lors d'un meeting tenu, récemment, dans les environs de Tunis, il n'a pas hésité à rappeler les attaques terroristes, les assassinats politiques et les actes de violence qui ont menacé la sécurité des Tunisiens et le processus démocratique durant «la période de la Troïka», et dont «les responsables n'ont pas rendu des comptes». Allusion au mouvement Ennahdha. Ce à quoi un membre du Conseil de la choura, Hatem Boulabiar a répliqué en appelant Afek et son chef à «plus de décence. Ou on est solidaire avec le gouvernement auquel on participe avec quatre membres ou on le quitte décemment», les appelant à «se taire et à se casser». Un retour qui perturbe la donne Il est vrai que le retour en grande pompe de l'Union patriotique libre(UPL) et de son président Slim Riahi, après sa «mise en quarantaine», dans le giron des deux mouvements Nida et Ennahdha, a été mal perçu par plusieurs partis, dont notamment Afek, partenaire dans le «gouvernement d'union national » où il compte deux ministres et deux secrétaires d'Etat. Riahi qui, il y a une année, avait déchiré «le Document de Carthage» le déclarant caduc, et appelé le président de la République Béji Caïd Essebsi à démissionner pour permettre l'organisation d'une élection présidentielle anticipée au cours de laquelle il «battrait Rached Ghannouchi au second tour», est de nouveau «en odeur de sainteté» aussi bien à Carthage qu'à Montplaisir et au Lac. Mais pas encore à la Kasbah où ce retour impromptu est mal vu jusqu'à l'agacement. La nouvelle «Troïka», qui ne dit pas son nom, est une réponse à la création du front parlementaire par plus d'une quarantaine de députés et l'alliance interpartisane annoncée entre une dizaine de partis dont Afek Tounès, Machrou Tounès, Al-Massar, Al-Joumhouri, Al Moubadara... Cette nouvelle donne annonce un remaniement du gouvernement qui pourrait intervenir au plus tard début janvier prochain et qui serait, également, dicté par la conjoncture nationale et internationale. Sur le plan national, les désaccords se font jour au sein de la coalition gouvernementale issue du «Document de Carthage», au point que l'on est arrivé à une sorte de dialogue de sourds entre ses composantes essentielles, avec d'un côté les deux mouvements Ennahdha et Nida Tounès auxquels s'est jointe l'UPL de Slim Riahi, d'une part, et Afek, Al Massar et Al Joumhouri soutenus par Machrou Tounès, de l'autre. L'examen puis le vote de la loi de finances, ont démontré que, contrairement à ce qui se dit, le consensus tant vanté n'a pas fonctionné et des membres d'un même groupe ont voté différemment. L'examen de la loi de finances a coïncidé avec l'annonce par l'Union européenne d'une «liste noire» des pays considérés comme des «paradis fiscaux» dans laquelle figure la Tunisie. Une annonce qui a mis en émoi la classe politique et économique tunisienne et malgré les explications fournies par le gouvernement, il n'a pas été exempté de critiques et certains l'ont même rendu responsable de cette «faute». Fadhel Ben Omrane, le député de Nida Tounès qui s'est distingué par ses interventions au cours de l'examen de la loi de finances, a pointé du doigt un conseiller du chef du gouvernement, lui faisant porter la responsabilité de l'inclusion de la Tunisie sur la liste noire des paradis fiscaux publiée et a appelé à son limogeage. Des ministres «inutiles» Sur un autre plan, les débats budgétaires ont été une sorte de test pour les ministres et ont mis à nu les limites et l'incapacité de certains d'entre eux à défendre leur projet et à convaincre les députés et l'opinion publique. Au point de parler de «ministres inutiles» qui semblent comme «perdus dans des trous noirs», à tel point même que l'on vient à se demander «s'ils servent vraiment à quelque chose». Car, à voir de près la constitution du gouvernement d'union nationale, l'on sort avec un constat évident : certains postes ont été créés pour satisfaire les caprices de lobbies politiques influents ou des amis complaisants. Il se trouve que Youssef Chahed a, sous la pression, multiplié «les strapontins et les maroquins», ce qui a rendu souvent illisible l'action gouvernementale. D'où un gouvernement pléthorique composé de 28 ministres et 15 secrétaires d'Etat. Ces derniers sont souvent réduits à de la figuration, avec ce que cela créerait comme frictions avec leurs patrons, surtout quand ils n'appartiennent pas au même mouvement politique. En période de disette budgétaire, de potion fiscale et de serrage de ceinture, l'équipe Chahed souffre «d'un embonpoint». La nouvelle «Troïka» est venue ajouter à la confusion qui règne et annoncer, parfois avec insistance, un remaniement ministériel. Le bilan de l'action du gouvernement réalisée par le centre d'études de Nida Tounès et publié dans un quotidien de la place est sans appel. Il a relevé l'absence de signes d'amélioration du rythme de croissance pour la réalisation des objectifs du développement et de l'emploi. Qu'en penserait le président ? D'aucuns affirmeraient que le scénario qui se prépare consisterait en l'éviction des ministres et des secrétaires d'Etat des partis qui n'ont pas ménagé de leurs critiques Ennahdha et Nida Tounès, à savoir Afek Tounès et Al Massar, et leur remplacement par des membres de l'UPL ou par des proches de la nouvelle Troïka. Les membres du gouvernement appartenant aux partis «rebelles» ont été sommés de choisir entre le gouvernement et leurs formations politiques. Iyed Dahmani, ministre chargé des Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, a été le premier à se conformer à cette «sommation», en faisant le choix du «maroquin». Réputé proche du chef du gouvernement Youssef Chahed avec qui il a milité au sein du parti Al Joumhouri, il n'a pas pu résister aux pressions «exercées sur lui notamment par le parti Nida Tounès et son directeur exécutif Hafedh Caïd Essebsi», selon le secrétaire général d'Al Joumhouri, Issam Chebbi. Lui emboîtant le pas, le ministre des Collectivités locales et de l'Environnement, Riadh Mouakher, également ami proche de Youssef Chahed, a, à son tour, décidé de garder son poste au gouvernement en gelant son adhésion au parti Afek Tounès. D'autres membres du gouvernement suivront dans les jours qui viennent. Le chef du gouvernement se trouve dans une situation alambiquée. Soumis à de fortes pressions de la part de Nida et Ennahda, il n'a pas beaucoup de choix devant lui. D'autant plus qu'il est constamment appelé à faire le ménage autour de lui. Déjà, il a éloigné son conseiller politique Faiçal Hafiane, en le casant à la tête d'une entreprise publique. Pas suffisant. Car les deux partis veulent d'autres têtes et ont déjà préparé une liste de remplaçants. Reste à savoir si le président de la République accepterait de valider ce scénario qui pourrait signer la fin de son initiative et si Youssef Chahed se résignerait à leurs pressions. Et si les autres signataires du «Document de Carthage» et notamment l'Ugtt, soutien solide de Youssef Chahed, laisseraient faire.