Par Samira DAMI La tendance de la transposition de faits divers au cinéma semble s'affirmer de plus en plus, sous nos cieux. Cette vague a été initiée par Kaouther Ben Hnia, devenue spécialiste du genre, avec la réalisation de ses deux longs métrages : Le Challat de Tunis, produit en 2012, et Al kaf ifrit, produit en 2017. Entretemps, Lotfi Achour a réalisé, en 2014, Père, également tiré d'un fait divers. Et voilà qu'on annonce l'adaptation au grand écran de l'affaire du tueur en série Nacer Damergi, un pédophile malade, ayant violé et assassiné 13 enfants entre 10 et 18 ans, dans les années 1980. Arrêté et condamné, il a été exécuté par pendaison le 17 novembre 1990. Ce projet de long-métrage intitulé Malek el maout (L'ange de la mort), que compte réaliser Karim Berrhouma, sera interprété entre autres par Ahmed Landolsi, qui campera le rôle du «boucher de Nabeul». Invitée sur le plateau de Klem Enass, sur Al Hiwar Ettounsi, alors que le scénario n'est même pas achevé (du jamais vu!), la scénariste Rabaâ Essefi, visiblement mal à l'aise, a eu du mal à parler de cette adaptation en chantier de cette affaire criminelle, l'une des plus horribles que le pays a connue et qui a secoué l'opinion publique. Il est vrai que l'entreprise est délicate et demande de la vigilance. En effet, les choix et partis pris scénaristiques et artistiques ne sont pas des plus faciles. Car, comment représenter le protagoniste principal, un tueur en série doublé d'un violeur pédophile ? S'agit-il d'opter pour un portrait manichéen chargeant à fond le personnage ou pour un traitement nuancé, de l'assassin, basé sur des ressorts psychologiques, expliquant son comportement et donnant du sens à ses actes incompréhensibles? S'agit-il, donc, de condamner, seulement et uniquement ou d'essayer de comprendre? S'agit-il de condamner ce «serial-killer» ou bien la société? La réponse n'est pas facile d'autant que cette affaire criminelle concerne, en tout, treize victimes ainsi que leurs parents et proches. D'où la gêne de la scénariste, visiblement, noyée dans l'incertitude, le doute et l'appréhension qui n'a donné aucune réponse précise. Comment expliquer, alors que malgré toutes ces difficultés, cette tendance à la transposition de faits divers au cinéma s'affirme de plus en plus dans nos murs et est en passe de devenir une mode. Certains le font par opportunisme commercial à l'instar de productions américaines façon Serial killer qui règnent en maître sur le cinéma hollywoodien. Et les exemples sont légion : de Jack l'éventreur jusqu'à Copycat en passant par L'étrangleur de Boston, Massacre à la tronçonneuse, Tueurs nés, Monster, et nous en passons. D'autres cèdent à la facilité tant les faits divers représentent une matière scénaristique importante et précieuse surtout si l'imagination et les sujets à traiter viennent à manquer. Toutefois, se posent toujours des questions d'éthique dont celle-ci : faut-il être fidèle à la véracité des faits ou seulement s'en inspirer librement quitte à les travestir ? Car, le public et même les principaux concernés par l'affaire traitée croient, toujours, même si l'adaptation est libre, que ce qu'ils découvrent à l'écran n'est autre que la stricte vérité. D'où les malentendus et les différends entre les protagonistes réels de ces affaires et ceux qui les adoptent. Ces divergences ayant même abouti à des procès en bonne et due forme. Pis, transposés à l'écran, ces faits divers horribles et tragiques peuvent être sources de dérangement et de souffrances pour les victimes, leurs parents et même pour les proches des bourreaux. Mais cela ne signifie point qu'on devrait s'empêcher d'adapter ce genre d'affaires tirées du réel. Bien au contraire. Car, en focalisant sur ces drames réels on pointe du doigt les dysfonctionnements sociaux, administratifs, policiers, judiciaires et autres. Il s'agit, donc, d'éviter tout opportunisme et/ou motivation commerciale en veillant à faire preuve de sincérité, à adopter une certaine distance, sans céder à la facilité des ingrédients du genre, entre voyeurisme, suspense outrancier et style spectaculaire excessif, au détriment du sens. Mais l'important n'est-il pas de sauvegarder le sens et de dénoncer les failles, brisures, cassures et déchirures humaines, sociales et judiciaires ? Et ce n'est qu'à cette condition que les adaptations d'histoires criminelles réelles peuvent être réussies. A preuve l'excellent Elephant de l'Américain Gus Van Sant mettant en scène de manière innovante, la fusillade du lycée Colombine, de 1999, où 12 lycéens et un professeur ont été abattus par deux adolescents déboussolés et tourmentés. Cet opus a remporté, en 2003, la palme d'or du Festival de Cannes. Autre exemple : Henry, portrait d'un serial killer, de John McNaughton, un film basé sur les exploits macabres de l'un des tueurs en série les plus monstrueux de toute l'histoire des Etats-Unis. Le résultat est une réussite, l'opus se déclinant en un thriller post-moderne tournant carrément le dos au carcan d'Hollywood. On sait que ce film qui devait sortir, sur les écrans en 1986, a été censuré par les autorités américaines jusqu'en 1990, en raison de sa violence très crue. Mais Henry, portrait d'un serial killer deviendra, par la suite, «un film-culte, grâce à son réalisme et à son authenticité». A la lumière de ces deux exemples et bien d'autres, on peut affirmer que les meilleurs films adaptés fidèlement ou librement de faits divers et autres affaires criminelles sont les plus sincères, les plus porteurs de sens et les plus innovants.