Après tant de travail effectué par des centaines de spécialistes et d'experts ainsi que des personnes relevant de la famille de l'éducation et de la société civile, la tendance serait vers l'abandon, pur et simple, de tous les outputs et recommandations issus de cette vaste concertation relative à la réforme du système éducatif. C'est triste de le dire, mais le constat n'en est que plus amer. Les observateurs déplorent ce revirement et assistent, impuissants, à ces tentatives de freiner toute évolution et toute orientation vers la rénovation des méthodes d'enseignement et d'apprentissage. Le veto opposé par certaines parties est tel qu'il pousse à s'interroger sur les vrais mobiles de ceux qui ne veulent pas que le système bouge d'un iota. Car, ils se complaisent dans les solutions de facilité et sont à l'aise dans les vieilles habitudes. On se rappelle les difficultés rencontrées par le ministre de l'Education feu Mohamed Charfi (de 1989 à 1994) quand il avait engagé la première tentative de modernisation du système éducatif. Les réticences, aujourd'hui, sont presque les mêmes avec une seule différence qu'elles ne viennent plus de la tendance de droite, mais plutôt de l'aile gauche. En effet, c'est l'Ugtt qui s'y oppose bien qu'elle soit partie prenante. Paradoxe aussi, cette partie syndicale ne parvient pas à «digérer» la présence d'autres parties à l'instar du troisième partenaire qui est l'Institut arabe des droits de l'Homme. D'autres organisations revendiquent, également, leur participation dans l'élaboration d'une éventuelle réforme. Elles se considèrent écartées par «ceux qui se sont appropriés ce droit» et ignoré des intervenants essentiels. L'école publique est en perte de vitesse Mais il y a, aussi, d'autres intérêts en jeu. Ces mêmes gens ont horreur que le système établi soit bousculé. Directement ou indirectement, ils poussent notre école vers plus d'échecs et de ratages. Et, sous prétexte de défendre l'école publique et l'enseignement gratuit, ils ne font qu'encourager les Tunisiens à déserter les établissements étatiques vers les établissements privés et payants. Le phénomène est, déjà, une réalité. Ces désaccords ont fait que la situation s'est empêtrée et a permis au secteur privé de prendre une bonne longueur d'avance. Il suffit, justement, de savoir qu'entre 2010 et 2015 le nombre d'écoles primaires privées s'est multiplié par deux, passant de 110 à près de 265. Le nombre des élèves, quant à lui, ne cesse de s'accroître. Il tourne, aujourd'hui, autour de 50.000 contre un peu moins de 25.000 sept ans auparavant. Cette grave désaffection s'expliquerait par la perte de crédibilité croissante dans le système éducatif étatique tunisien. Le travail de sape opéré par ces contradicteurs patentés commence donc à porter ses fruits. La campagne menée contre les efforts de changement a, largement, porté préjudice à notre institution d'enseignement. On sait, pourtant, que c'est grâce à elle que les bâtisseurs de la Tunisie moderne se sont appuyés pour ériger une administration forte et une fonction publique solide. Ce qui se passe ne contribue en rien à rehausser l'image du personnel enseignant ou les méthodes de travail. Pis encore, nous assistons à un manque flagrant de confiance entre les parents et l'école publique. Le constat sans appel est le suivant : l'école publique est en perte de vitesse sur tous les plans. Le niveau des enseignants est en baisse continue. Ceux qui suivent l'évolution de la scolarité de leurs enfants le savent très bien. Dans de nombreuses écoles, certains instituteurs ne remplissent pas les conditions minimales pour réaliser un cours. Des erreurs gravissimes sont relevées dans les cahiers des élèves. Les inspecteurs en savent quelque chose. C'est pourquoi il leur revient d'intensifier les visites, même s'ils rencontrent de plus en plus de difficultés face aux refus de certains enseignants d'être... inspectés ! C'est, malheureusement, une nouvelle habitude acquise après 2011 ! Graves lacunes Ce manque de compétences, chez certains, est de nature à compromettre la stratégie visant à réaliser une école garantissant l'égalité des chances et la qualité. Tout retard pour introduire des changements au niveau des programmes, des méthodes de travail, des pratiques pédagogiques et des rénovations technologiques ne ferait que porter atteinte aux espoirs que le peuple tunisien place dans son système éducatif. En somme, tout semble avoir été reporté sine die. Le changement au niveau des programmes, le réajustement des coefficients de certaines matières, l'enseignement des langues étrangères (français et anglais) dans le niveau primaire, la formation continue des enseignants, la synchronisation avec les exigences socioéconomiques... sont autant de défis qu'on ne va pas relever de sitôt. La honte est d'autant plus grande que les fautes sont flagrantes. Dans les livres parascolaires vendus comme des petits pains, il n'est pas étonnant de noter des erreurs colossales commises par des instituteurs en exercice, en général. C'est vrai que ces ouvrages ne sont pas soumis obligatoirement à l'évaluation pédagogique des inspecteurs du ministère parce que c'est payant, mais laisser de tels outils en circulation entre les mains de nos élèves ne fait qu'aggraver les lacunes dont souffrent nos enfants. Il ne faut pas minimiser l'impact des cours dispensés oralement par un nombre croissant d'enseignants qui utilisent de moins en moins le tableau même lorsque cela est nécessaire. Dans le primaire, les conséquences sont désastreuses, puisque les écoliers ne savent pas trop comment on orthographie les mots. Le travail d'équipe (ou par groupe) ne jouit d'aucun intérêt dans les cursus, tant dans l'enseignement de base que dans le secondaire. Pourtant, il est clair que cette approche est l'une des plus importantes pour favoriser l'émulation et la concurrence saine. A cela s'ajoute plusieurs aspects essentiels qui sont négligés ou ignorés. Demandez, par exemple, ce qu'est un «devoir de synthèse» à un élève. Il ne saura pas y répondre, car pour lui, il ne s'agit que d'une pratique routinière devant lui permettre d'obtenir une note qui sera comptabilisée dans sa moyenne. Pourquoi ? C'est aussi simple : personne ne leur a expliqué ce que signifie «synthèse». Un tel devoir, donc, n'est pas de rendre compte des connaissances acquises, mais d'en faire la synthèse. C'est-à-dire, exploiter les données dans un cadre plus global montrant les capacités réelles de l'élève dans la manière de les traiter. Qualification des enseignants En somme, l'immobilisme dans lequel se trouve, actuellement, le projet de réforme laisse la voie ouverte à toutes les interprétations. D'aucuns parlent, tout simplement, de l'abandon de cette idée. D'autres évoquent un détournement, voire un dévoiement, des principes et des vrais objectifs de l'opération de réforme. Le recours intensif aux suppléants a aggravé encore plus les problèmes. Traitée sous un angle beaucoup plus social que pédagogique, cette question est devenue un obstacle majeur devant toute solution efficace. Le recrutement ne se fait plus par voie légale et en se basant sur des mécanismes scientifiques. Il serait insensé de recourir, massivement, à des personnes ayant «enseigné» quelques mois et ne plus recruter des gens formés dans des écoles normales pour être des enseignants. Le ministère est devant un déficit de plusieurs milliers d'enseignants. Mais les contraintes budgétaires bloquent tout recrutement. En outre, la réduction du nombre d'heures pour les enseignants a contribué à rendre cette situation plus critique. Et puis, le ministère n'est plus capable de prendre une décision sans qu'il soit pointé du doigt par des syndicats devenus de plus en plus puissants en raison de la conjoncture politique du pays. C'est pourquoi la plupart des observateurs es pessimiste quant à une issue positive de ce processus, pourtant, prometteur. Personne n'est capables de prévoir la fin de ce processus ni préciser une date limite des résultats qui en sortiront.