Ce film, primé aux JCC par le Tanit d'or de la première œuvre, marque la naissance d'un auteur, qui s'adresse au monde, qui ne se cloisonne pas dans un propos identitaire, qui pose la réflexion d'une manière transversale, avec un regard qui perce le mystère d'une condition humaine et rejoint dans la simplicité et la fluidité les voies de la création. Avec un premier long métrage, Walid Mattar signe une œuvre qui lui ressemble. Comme lui, hautement professionnelle, qui fait transparaître un savoir-faire, un style dans le retenu, sans complexe par rapport à un nord, ni nostalgique par rapport à un sud, sans bons sentiments mielleux, sans empathie mal placée et sans presque d'état d'âme. Pourtant, Walid Mattar aime ses personnages, les filme avec précision, dessine leurs contours et leur donne de l'étoffe. Le nord de la France. L'usine d'Hervé est délocalisée. Il est le seul ouvrier à s'y résigner car il poursuit un autre destin: devenir pêcheur et transmettre cette passion à son fils. La banlieue de Tunis. L'usine est relocalisée. Foued, au chômage, pense y trouver le moyen de soigner sa mère, et surtout de séduire la fille qu'il aime. Mattar ne se met pas en avant dans son film, bien que ce soit un film d'auteur, il a de la distance par rapport à son histoire, il filme un état des choses, tisse des relations humaines et opère des recoupements entre le nord et le sud. D'une ville du nord de la France à Hammam-Lif, les situations se ressemblent, s'entrecroisent et s'imbriquent sans pour autant se rencontrer. Le point de vue est par ailleurs clair, Mattar raconte la classe ouvrière, raconte la crise économique, expose la condition humaine loin de tout ancrage identitaire. La délocalisation est un mal pour certains, une possibilité d'un rêve pour d'autres, mais d'un rêve tronqué. Les gestes répétitifs d'Hervé, qui découpe des bouts de cuir dans une usine de chaussures, deviennent ceux de Foued. Aucun des deux ne se passionne pour ce qu'il fait, et n'en voit même pas le fruit de son labeur...des pièces identiques, d'un bout de chaussure qu'ils ne porteront même pas, une chaussure qui ne les emmènera pas très loin dans vie... Dans «Vent du Nord», Mattar s'interroge sur le sens du travail, le travail comme valeur porteuse d'espoir et d'avenir. De ses trente ans dans l'usine, Hervé n'a acquis aucun savoir-faire, juste un emploi qui lui offrait de quoi se remplir la panse. Ce même emploi, ce même geste machinal, n'est qu'une possibilité pour Foued d'aspirer à une situation sociale. L'analogie entre les deux personnages nous donne froid dans le dos... l'avenir de l'homme y perd toute perspective, Hervé n'est autre que la reproduction de Foued avec les quelques années de décalage, l'amour que porte Foued pour Karima est certainement similaire aux sentiments que portait Hervé pour sa femme, une relation usée, flétrie par le temps et l'usure. Le cinéaste se place à équidistance entre ces deux êtres, insiste sur la méconnaissance de l'autre, le parallèle fonctionne dans les deux sens : le Nord (l'Europe) n'est pas le règne du travail, de la réalisation de soi et de la réussite, et le sud n'est pas la carte postale idéalisée avec chapeau de paille, plage de sable fin et cocktails à volonté. La dure réalité nous rattrape des deux côtés. Outre son écriture précise et bien ficelée, son sens du cadre et de la réalisation bien dosé, son implication réfléchie loin de toute émotivité galvaudée et sans slogans à outrance, Mattar a su dessiner un tableau dans lequel l'humour vient naturellement tout au long d'une trajectoire narrative aussi juste qu'entière. «Vent du Nord» ou «Cherch», comme aime bien le nommer son auteur, est relevé par l'étonnante performance du duo Hamzaoui-Abir Bennani. Lui, qu'on connaissait déjà comme rappeur, se retrouve dans la peau de Foued sans aucune difficulté. Hamzaoui est à la fois tendre et rêveur, résigné et révolté... il ne dévoile pas son personnage, il a su le vivre ou plutôt le laisser venir à lui, Foued c'est lui en quelque sorte, il a su le faire à sa sauce, il le façonne à sa manière, le rend naturel, entier et vrai. Hamzaoui est déjà un acteur à part entière, une créature qui prend à bras le corps sa mission. Etre acteur c'est aussi la simplicité, la nuance, c'est l'intelligence de laisser le personnage vous habiter, le comprendre et savoir l'aimer. Quant à Abir Bennani, elle signe, dans ce film, une nouvelle identité, celle d'une actrice qui s'accomplit, pour laquelle le jeu et l'interprétation sont synonymes d'engagement et d'échange. La complicité Hamzaoui est tellement vraie, qu'on croit en leur idylle et on ne s'étonne pas de sa déviation. Car, comme le titre l'indique, «Vent du Nord» est un vent violent, sec et froid qui rase les rêves sur son sillage, glace les corps et ne booste rien. Les expressions quasi figées des personnages du film, surtout celles de Hervé, de sa femme et de tous les travailleurs du Nord, mais aussi de la mère de Foued, femme flétrie, aux gestes lents et redondants dont l'existence se limite à ingurgiter des comprimés, un traitement contre toutes les maladies du siècle. Tous ces portraits se révèlent à nous comme les personnages du tableau de Van Gogh «Les mangeurs de pomme de terre», des regards hagards et des traits creusés qui tirent vers le bas. Ce même sort attend Foued et Karima et tous ceux qui rêvent d'un meilleur, au Nord. Ce film, primé aux JCC par le Tanit d'or de la première œuvre, marque la naissance d'un auteur, qui s'adresse au monde, qui fait des films universels, qui ne se cloisonne pas dans un propos identitaire, qui pose la réflexion d'une manière transversale, un regard qui perce le mystère d'une condition humaine, et rejoint dans la simplicité et la fluidité les voies de la création. «Vent du Nord» s'ouvre sur un feu d'artifice et se clôture sur les lumières de la ville, une ville qui brille de loin la nuit, mais au lever du jour, se révélera sa dure réalité.