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Trois conseils suffiraient pour éliminer les lignes de fracture dans le monde arabe
Entretien avec...Ahmed Ounaïes, ancien ministre des Affaires étrangères
Publié dans La Presse de Tunisie le 11 - 02 - 2018


Entretien conduit par Raouf SEDDIK
Diplomate écouté, M. Ahmed Ounaïes compte parmi nos intellectuels engagés pour qui l'évolution du monde fait l'objet d'une réflexion attentive... C'est pourquoi nous tenions à l'attirer sur un terrain où l'analyse des événements relève d'un grand champ. Il y ajoute le regard aiguisé de l'homme d'expérience qui, en prenant du recul, n'a rien perdu de sa passion et de son franc-parler sur des sujets où l'on attendrait parfois la prudence évasive des diplomates...
Qu'est-ce qui vous paraît être le fait majeur dans le paysage de l'actualité internationale de notre époque ?
Alors, il y a le plan international et le plan régional.
Sur le plan international, c'est vraisemblablement la fin du processus de transition qui s'est ouvert avec la chute du mur de Berlin et l'implosion de l'Union Soviétique. Depuis lors, les années 90-2000 constituent une phase de transition vers un nouvel ordre mondial. Il me semble que nous assistons à la fin de cette phase de transition et que, d'une manière de plus en plus nette, se forme un nouvel affrontement entre un bloc américain/asiatique, d'une part, et le bloc continental Russie/Chine, d'autre part. Ce nouvel affrontement n'est pas idéologique. C'est une lutte d'hégémonie, d'accaparement des territoires, des ressources naturelles. Dans l'ordre qui était terminé à la fin des années 80, la lutte était idéologique et les blocs étaient suffisamment identifiés pour rendre possible un non-alignement, un mouvement de non-alignement important. Dans la nouvelle confrontation qui s'affirme, il y a une hésitation à constituer une troisième force. Nous sommes dans la superposition de ses deux hyperpuissances et une hésitation de la part des autres forces moyennes dans le monde.
Diriez-vous que les frontières entre les deux blocs sont claires ou est-ce qu'elles sont un peu mouvantes ?
A mon sens, elles ont commencé à devenir assez claires avec le déclenchement du printemps arabe et l'enjeu du Moyen-Orient. L'enjeu du Moyen-Orient a contribué à clarifier ces deux pôles, mais ces deux pôles ne sont pas continentalement nets. Ils sont entremêlés. Par exemple, l'Amérique du Nord est alliée avec le Japon et l'Australie, des puissances asiatiques. Tandis que la Russie, la nouvelle Russie, est alliée avec la Chine - le sens d'alliance n'est pas encore achevé- mais c'est une entente qui s'est vérifiée stratégiquement depuis dix ans : les deux pays n'ont jamais voté l'un contre l'autre, ni au Conseil de sécurité, ni sur les terrains mondiaux, les terrains sensibles ; au contraire, il y a un rapprochement de plus en plus fort entre ces deux puissances. Or ces puissances sont montantes, tandis que les autres puissances, en face, sont déclinantes, bien qu'elles aient des atouts stratégiques importants. Donc l'affrontement va vers une parité de capacité militaire et économique et nous assistons à une montée en puissance évidente du bloc continental eurasiatique que représentent la Russie et la Chine. Donc, c'est la fin de la période de transition et il y a, face à cette nouvelle configuration, un certain nombre d'échéances qui sont la nécessité d'une structuration : la structuration n'est pas encore claire. Auparavant, il y avait l'Otan et le Pacte de Varsovie. Il y avait des choses très nettes : les veto au Conseil de Sécurité. Aujourd'hui, nous avons les prémices. C'est-à-dire les votes séparés entre ces deux entités sur des enjeux majeurs, et il y a continuité dans les lignes politiques adverses de l'un et de l'autre depuis dix ans. Cela se matérialise dans un certain nombre de théâtres d'opération.
Est-ce que le passage de l'administration Obama à l'administration Trump constitue un événement secondaire ?
Ce passage a accéléré... et aujourd'hui Trump est en train d'aller vite et de chercher des alliés qui ont le courage de s'affirmer dans son plan. L'Europe se dérobe, c'est pourquoi je parle d'une hésitation : il n'y a pas dans cette configuration d'espace pour un non-alignement.
Pensez-vous que l'Europe ne peut pas jouer le rôle d'un certain non-alignement ?
L'Europe, non ! Elle joue sa carte en étant une communauté culturellement et politiquement évoluée. C'est la plus évoluée des Etats du monde, et stratégiquement en train de se donner les moyens de changer le cours des choses. Mais elle n'a pas encore ces moyens : elle est en train de se donner ces moyens. Il y a une prise de conscience, depuis le Brexit et depuis le coup de poing donné par Trump dans l'Otan. C'est à l'Europe de trouver les moyens de sa propre défense et d'équilibrer tout cela. Les Européens ne l'ont pas oublié et ils sont en train maintenant de se doter... hier, c'était déjà très net en France, mais l'Allemagne, c'est clair, de son côté. Donc, ils sont en train de se doter d'une puissance à l'échelle des enjeux, n'est-ce-pas, qui se font. Donc, l'Europe n'entre pas dans cet affrontement, elle calcule ses positions. Mais là où la phase de la fin de transition est claire c'est au Moyen-Orient d'abord, en Afrique, n'est-ce-pas, et en Asie. Le pourtour du bloc eurasiatique, l'Afghanistan, l'Iran, la Syrie, les pays du Golfe sont les enjeux directs de cet affrontement. Et là, à mon sens, nous allons vers une nouvel ordre, enfin clair, enfin affirmé. Voilà sur le plan mondial.
Sur le plan régional, il faut prendre de la hauteur, sinon on est brouillé. Mais si nous prenons de la hauteur, nous réalisons que la révolution démocratique de la Tunisie change la donne régionale. La donne régionale n'est plus celle qui a succédé à la fin de la colonisation. Et même à la période de l'affrontement Est/Ouest et au-delà. C'est une situation absolument inédite dans l'histoire du monde arabe.
On observe un certain conservatisme dans la diplomatie tunisienne, en particulier au sujet du principe de non-intervention dans les affaires des pays tiers. Ce qui peut être louable, mais qui peut aussi donner l'impression que nous sommes en décalage par rapport au rôle historique qui nous est imparti depuis 2011...
Je comprends la question, mais je réponds sur deux points. Une première réponse, c'est que la politique extérieure tunisienne approfondit les prémices des soixante ans de politique bourguibienne. Nous approfondissons, nous n'en dérogeons pas, nous ne créons pas de diversions et il y a eu deux années catastrophiques qui sont les années de la Troïka qui nous ont ruinés. Mais il y a eu retour, logique, de la politique extérieure vers les choix bourguibiens et, compte tenu de la configuration qui s'affirme, nous ne faisons qu'approfondir les options fondamentales de la politique extérieure.
Vous voulez dire que ce qui s'est passé en Tunisie est une occasion pour cette ancienne diplomatie de montrer qu'elle est d'autant plus pertinente ?
Absolument. C'est-à-dire que nous continuons à être porteurs de visions d'avenir et à édifier une société d'avant-garde, qui est parfaitement comprise dans sa portée, dans son champ, mais qui contrarie les pays arabes. Tandis que l'Europe en a compris la portée - comme tous les autres - mais la soutient. Elle estime que cette percée de la Tunisie dans l'ensemble arabe est constructive et renforce la communauté libérale, économique et stratégique de l'Union européenne.
Le discours de Macron devant le Parlement allait un peu dans ce sens...
Il n'est pas le premier. Ceux qui l'ont précédé avaient dit la même chose, mais lui a eu beaucoup de finesse : ses phrases sont sculptées, sont fines, comparées à ses prédécesseurs et à d'autres européens. C'est la première réponse.
La deuxième réponse, à la même question, c'est que la Tunisie ne peut pas prétendre jouer un rôle majeur compte tenu de son potentiel, de ses atouts, etc. Elle pourrait le jouer si le Grand Maghreb était édifié. Le Grand Maghreb est dans un attentisme, à mon sens un attentisme coupable, mais malheureusement réel. Si le Grand Maghreb se constitue, à cinq bien entendu, fidèle à son essence - qui s'est affirmée en octobre 1956, avec le premier sommet entre Tunisie, Maroc indépendant et FLN en guerre, mais qui a été frustré ; puis en avril 58 à Tanger ; puis en 63 où on a élaboré les prémices du Conseil Permanent Consultatif du Maghreb qui a fini par s'établir en Tunisie et, enfin, avec le Traité de Marrakech de Février 89. C'est ce même concept du Maghreb qui a fini par évoluer jusqu'au Traité de Marrakech et qui est frustré... Si ce Maghreb parvient à se ressaisir et à s'édifier, il constituera une communauté économique, une révolution culturelle dans le monde arabe et une puissance historique capable de changer le cours des événements. Aujourd'hui, quelque pays que ce soit qui prétende assurer sa défense et préserver son patrimoine et ses atouts à lui seul, se fait des illusions. Il n'y a de possibilités de vivre et d'assurer sa souveraineté que dans le cadre d'un Maghreb affirmé et conscient de sa propre portée. Tout autre calcul constitue une fuite en avant. La Tunisie est consciente de cette situation. Elle déplore l'attentisme malheureux qui afflige le Grand Maghreb et elle continue sa course comme dans le champ du sport : chacun court sous sa bannière... Il nous arrive de remporter des médailles, et il nous arrive d'échouer, mais chacun à son compte.
Deux faits pourraient, peut-être, faire évoluer les choses : le fait qu'en Libye les choses ne s'aggravent plus, on va dire - il y a désormais une feuille de route et un émissaire de l'ONU qui lui-même est reconnu par les différentes parties -, et il y a aussi le fait que le Maroc a rejoint récemment l'Union Africaine. Ce qui veut dire qu'il reconnaît la possibilité que l'Union Africaine puisse jouer un rôle d'arbitre par rapport à la question du Sahara occidental... Est-ce que ce sont des éléments qui permettent à votre avis d'espérer une évolution ?
Le Maroc est l'un des plus anciens Etats au monde. La dynastie marocaine est l'une des plus anciennes actuellement sur le trône. Elle a commencé au début du 17ème siècle. Toutes les autres monarchies sont tombées. Il n'en reste qu'une petite minorité. L'intelligence de Hassan II a été, par bonheur, continuée avec Mohammed VI. Mohammed VI ne laisse pas les enjeux fondamentaux subordonnés à quelque force que ce soit. Il les réalise par lui-même sur ses propres fonds, avec ses propres ressources, exactement comme l'a fait Hassan II. Il n'abandonne à personne l'arbitrage des grands enjeux nationaux, y compris la question du Sahara. C'est en quoi c'est un grand roi, c'est un homme de vision. La nation marocaine est un pivot de l'équilibre régional.
Pourquoi ?
Parce que c'est un Etat très ancien qui a des réflexes étatiques et qui voit loin. Qui n'a pas besoin de calculs de légitimité à court terme. Ce qui est le cas des républiques qui l'entourent. Donc le Maroc ne compte que sur lui-même : il ne compte ni sur l'Occident, ni sur l'Afrique, ni sur l'Europe, encore moins sur ses voisins qui, malheureusement, n'ont pas compris les enjeux historiques.
Donc pour vous les revendications du Polisario sont...
Sûrement artificielles, construites par un ennemi qui tient à détruire l'Etat marocain. Rien ne justifie la revendication d'une entité étatique au sud du Maroc. Aussi loin que vous remontez dans le temps, vous ne trouverez jamais trace d'une centralité étatique au sud du Maroc. Et d'ailleurs, s'il avait pu y avoir une trace, nous ne l'aurions pas appelée « Sahara ». Quand on a la culture et qu'on sait ce que c'est qu'un Sahara... Un Sahara signifie « absence de centralité », « absence de permanence dans la sédentarité des gens» et un désert sur le plan de la décision politique ou stratégique... C'est un désert, qui a toujours dépendu de l'Etat de son environnement, qui a été soit Fez, soit Marrakech, soit Meknes, soit Rabat, peu importe. Donc d'où vient cette prétention ? Elle est purement hégémonique et, dans ces conditions, le Maroc ne se laisse pas entraîner dans des petits jeux de cette nature. Il compte sur lui-même et, jusqu'à présent, il n'a jamais cédé, et nous espérons qu'il ne cèdera pas. Sinon, l'équilibre du Grand Maghreb sera rompu et nous ne le souhaitons pas. Parce que, à ce moment-là, la Tunisie sera au menu. Elle l'a déjà été...
Dans votre optique, c'est surtout l'Algérie qui aurait à revoir sa position...
Les lendemains de l'Algérie sont un point d'interrogation. Nul ne peut répondre au point d'interrogation posé par le présent de l'Algérie. Il y a là une situation de contraste terrible entre le peuple et la hiérarchie gouvernante, entre l'histoire récente et la politique présente, entre la vision d'avenir et ce que la raison dicte comme devant constituer une communauté qui sauve l'Algérie définitivement et qui constitue en effet une communauté salutaire pour les autres pays de la région... Le peuple algérien le réalise, l'élite algérienne le réalise, mais qui va en décider, quel processus va se dégager : est-ce qu'il obéira à une rationalité historique ou à une autre rationalité comme cela a été le cas jusqu'à présent ? Nous ne le savons pas. C'est un grand point d'interrogation... Donc la Libye a réagi comme le reste du monde arabe à la vibration déclenchée en janvier 2011. Tout le monde arabe a réagi... La Libye n'a pas réagi superficiellement et sa réaction n'a pas pu être frustrée ou réprimée, comme cela a été le cas un peu partout ailleurs. Elle est entrée dans une phase d'ajustement historique de sa gouvernance et de sa stratégie. Il y a eu malheureusement des interférences extérieures. Ce qui a complètement ruiné ce processus. C'était le cas pour la Tunisie, pour l'Egypte, pour la Syrie, évidemment. Nous avons pu nous en sortir, mais les forces extérieures ont dominé le théâtre libyen et il continue d'en souffrir encore. Pourquoi la Tunisie, à l'égard du conflit libyen, souhaite un retour à la décision nationale, dans l'indifférence, à n'importe quelle influence extérieure ? Si les Libyens se prononcent, en tant que nationalistes libyens, leur résolution est claire. Mais tant qu'il y a des interférences, de part et d'autre, à l'est, à l'ouest, au nord et au sud, malheureusement, ils succomberont à une espèce de guerre civile... Nous ne perdons pas espoir, en tant que Tunisie, de ramener les acteurs à une rationalité nationaliste. S'ils y viennent, ils seront sauvés. Et à mon avis, la Libye est l'un des champs d'avenir d'une nouvelle rationalité dans le Maghreb... A ce moment-là, nous serons majoritaires pour pouvoir édifier, peut-être pas en bloc - comme c'était notre espérance depuis 1956 : un Maghreb constitué en bloc par les 5 pays – mais un Maghreb que nous construirons petit à petit, avec la Libye et le Maroc, en attendant que les autres viennent à maturité. Mais la percée démocratique tunisienne constitue un fait nouveau dans l'histoire du monde arabe et au sud de la Méditerranée. Il n'y a pas de précédent à cela et, à mon avis, le destin démocratique de la Tunisie est assuré. Il est irréversible...
Revenons un peu vers l'Orient. On entend parler d'une initiative américaine de paix entre Palestiniens et Israéliens. Il y a eu pas mal de prémices à un retour du processus de négociation : l'initiative de Paris, les allers et venues des conseillers de Trump au Moyen-Orient ensuite... Puis la décision, qui a surpris le monde, de déménager l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem et, malgré cela, l'affirmation que cette décision ne remettait pas en question l'engagement américain en faveur d'une solution politique. Les gens s'interrogent : est-ce que cette position américaine tient la route ou est-ce que c'est pure rhétorique ?
Il n'y a pas de plan de paix américain. Les Etats-Unis n'ont jamais tablé un plan de paix... Israël n'a jamais tablé un plan de paix. La Palestine oui ! Elle a présenté un plan de paix qui a été approuvé par tous les pays de la région, sauf Israël. Pourquoi ? Parce qu'Israël s'appuie sur le veto américain pour ne pas adopter un plan de paix, quel qu'il soit. En réalité, Donald Trump est un semeur de division et un semeur de guerre. Sa décision, le 6 décembre, de proclamer de son côté que Jérusalem est la capitale de la puissance occupante, en violation expresse des résolutions du Conseil de sécurité, du droit international et des avis de la Cour internationale de justice, à des dates différentes mais toutes actuelles, donne l'alerte d'un retour de la loi de la jungle. Et la loi de la jungle, c'est : occupez les territoires par la force, légalisez-les, il n'y a pas de droit international ! Cette alerte a commencé avec la décision sur Jérusalem par Trump. Elle se poursuit au détriment du territoire libanais ces deux derniers jours (les 7 et 8 février, ndlr) par la puissance occupante et elle est en train de se matérialiser au détriment du territoire syrien, bientôt... Donald Trump est là pour endosser ces violations du droit international. Il n'y a pas de plan de paix de Donald Trump. Tous les présidents des Etats-Unis qui l'ont précédé avaient été fidèles au respect du droit international. Ils n'ont pas pu, relativement à Israël, imposer le respect du droit international, mais ils ont tous nié la violation du droit international par la puissance occupante. Donald Trump, c'est le contraire : il endosse la violation du droit international, il viole les résolutions du Conseil de sécurité, les avis de la Cour internationale de justice et il donne l'alerte de la loi de la jungle. Cette loi de la jungle a déjà commencé à s'appliquer. Donc il n'y a pas de plan de paix et il ne faut pas compter que, tant que cette administration est en place, nous ayons la moindre chance d'avancer dans le sens d'un règlement de la question du Moyen-Orient, que ce soit en Palestine ou dans les autres territoires occupés ou concernant les autres pays de la région. Nous aurons une politique de division et de guerre, où on ajoutera la guerre à la guerre, et l'Europe s'en méfie terriblement. Pour l'instant, le bloc qui s'oppose à cette initiative extrêmement négative — et contre laquelle nous avons le devoir de lutter politiquement — c'est celui de la Russie et de la Chine. Voilà notre espoir dans les conditions actuelles.
Vous voyez dans ces deux pays des alliés ?
Eux évitent la notion « d'alliés » mais ils sont sur le terrain, et ils veillent à ce que les droits des peuples de la région ne soient pas violés par une hégémonie en particulier américaine... droits qui ont déjà été violés par Israël évidemment. Ils y veillent.
Il y a un conflit religieux qui persiste dans le camp des pays musulmans entre sunnites et chiites, dont on voit les conséquences catastrophiques, en particulier au Yémen. Pensez-vous qu'il s'agit d'un conflit qui est installé dans la durée ou est-ce qu'il peut être dépassé à court ou moyen terme ?
A mon sens, tout est surmontable si les décisions étaient strictement nationales. Il suffit de trois conseils, un conseil qui réunit les pays du Golfe à 6.
Ils résoudront leurs problèmes entre eux et ce n'est pas insurmontable. C'est jouable. Il suffit de puiser ses décisions en soi-même, sans interférences extérieures. Les pays du Golfe représentés à travers le CCG, le Conseil de coopération du Golfe, sont un espoir pour le monde arabe, parce que les autres régions, le Maghreb et le Machrek, n'ont pas réussi à constituer un ensemble régional cohérent et sur la longue durée. Le CCG l'a fait. La crise du CCG est à l'origine d'un champ de changements stratégiques graves. Il faut que les pays du CCG se réunissent et surmontent le conflit entre eux. S'ils surmontent le conflit, la pression sera plus aisée à résoudre dans le respect de la souveraineté yéménite. Sans interférences extérieures.
Deuxième conseil, un Conseil des pays arabes qui élimine les conflits entre eux. Et c'est aussi jouable. Aucun des conflits opposant un pays arabe avec son voisin n'est insurmontable. Tous les conflits sont surmontables entre pays voisins, entre pays arabes. Et, dans ces conditions, les prétendues menaces sur les pays du Golfe seront totalement surmontées.
Troisième conseil, un Conseil des pays islamiques dans lequel la réconciliation entre prétendus chiites et sunnites sera définitivement surmontée. Elle ne constitue pas un conflit politique, ni stratégique. C'est une invention, une création pour soutenir un antagonisme qui, à mon avis, est une construction extérieure dictée à la région.
Donc trois conseils suffisent pour éliminer toutes ces lignes de fracture. Il n'y a pas de questions de territoire derrière cela, il n'y a pas de questions d'enjeux stratégiques, tout est surmontable. Pourquoi cette rationalité existe-t-elle en Europe, existe-t-elle dans le continent américain, et n'existe-t-elle pas dans le champ arabe ? Il suffit que cette rationalité retrouve sa voie dans le monde arabe et dans le monde islamique : c'est ce que je pense. Maintenant, il est clair que la gouvernance du monde arabe est en jeu. L'éclatement du Printemps arabe, dans le centre de la Tunisie, qui s'est généralisé au pays et qui a donné le coup d'envoi d'une remise en cause de la gouvernance dans l'ensemble du monde arabe, du Maroc au Yémen, jusqu'en Syrie, signifie qu'il y a un mal arabe et que pour surmonter le mal arabe, il y a une révolution culturelle qui s'impose. Pas sanguinaire... C'est une simple révolution culturelle qui s'impose : elle n'est pas sanguinaire, c'est une simple révolution culturelle qui entraîne un ajustement de la gouvernance politique des pays qui pourrait constituer, moyennant cette transition politique, un essor culturel et un retour de la solidarité arabe.


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