La décision prise pour instruire ce dossier a coïncidé avec la conversation que nous avions écoutée sur une des stations de radio de la place et qui a eu lieu entre un président de club et un entraîneur fraîchement remercié et remplacé par un autre. Les deux parties sont restées courtoises en dépit de la déception qui émergeait nettement dans la voix de l'entraîneur : il a appris son «lâchage» par une personne autre que le président qui, pourtant a été celui qui l'avait contacté personnellement pour ...remplacer un précédent lui-même «congédié». On peut trouver des excuses pour cet inélégant renvoi, mais le manque de courtoisie est évident et surtout lorsque le premier responsable du club a avoué que la «pression de la rue et du ...facebook était devenue insupportable ! C'est dire que ces chaises musicales mises en place dans les couloirs de tous les clubs, sans exception, au début de chaque saison, ne sont pas une particularité propre à telle ou telle association sportive. Ce n'est pas du tout une singularité tunisienne. Dans tous les pays du monde du football, la première réaction à laquelle on pense une fois que les vents contraires commencent à secouer le club est «le choc psychologique» qui offre l'occasion propice pour souffler au niveau du comité directeur et surtout pour offrir le bouc émissaire rêvé pour les supporteurs. Le Real Madrid a réussi une saison exceptionnelle 2016/17. L'enchaînement des engagements, l'âge pour certains joueurs qui ne récupèrent pas aussi vite que dans leurs plus belles années et quelques départs ont débouché sur des résultats qui n'ont pas été du goût des supporters. Zizou a commencé à sentir les effets du boulet rouge qui se rapprochait ! Tout le monde a oublié les records et les titres conquis et n'eussent été la personnalité de Zidane, son passé en tant que joueur du club et le réamorçage providentiel des résultats positifs, la situation aurait pu être différente. Ce «choc psychologique» a fait l'objet d'un certain nombre d'études. Les conclusions nous les tirerons ensemble une fois que nous aurions lu celles des éminentes personnalités qui ont étudié de près ce «mythe». Lorsque le courant ne passe plus En effet, si deux ou trois exemples ont été à la mode à une certaine période, cela ne suffit pas pour que cela devienne une règle absolue. Prenons l'exemple de l'Espérance sous la conduite de Benzarti. Première, de loin même, son entraîneur est limogé «parce que l'équipe n'a pas un ...style de jeu !». Allez comprendre ceux qui ont voté pour son départ. La situation était devenue intenable avec un public de plus en plus agressif et il fallait décider. D'ailleurs, comment peut-on travailler dans une ambiance où l'entraîneur est assis entre deux chaises, avec des joueurs qui «ressentaient à fleur de peau» ce que ressent tout entraîneur ne bénéficiant pas ou plus de la même aura ? Le remplacement de Benzarti a-t-il eu ou a –t-il été un choc psychologique ? A ceux qui ont tout fait pour le pousser vers la sortie de le juger. Certes, l'Espérance n'a pas perdu au change avec l'arrivée de Ben Yahia, mais personne ne peut aujourd'hui affirmer que si Benzarti était resté, le comportement de l'équipe ne se serait pas amélioré. Depuis 1990, un certain nombre d'équipes de chercheurs en sciences humaines ont effectué des recherches sérieuses en mettant en branle des moyens conséquents. Cette question relative au «choc psychologique valait» son pesant d'or: changer d'entraîneur en cours de saison permet-il d'avoir de meilleurs résultats ? Sur sept études, six d'entre elles ont démontré qu'un changement d'entraîneur était inefficace (effet négatif ou pas d'effet sur les résultats). Une seule a laissé entendre que cela pouvait influencer les résultats positivement. Le problème n'est pas simple à résoudre pour une bonne et simple raison: il est impossible de savoir ce qui se serait passé si un club n'avait pas limogé son entraîneur. La pression de la rue Mais les études se rejoignent sur certains points. Les équipes qui licencient leur entraîneur ont bel et bien tendance à avoir de meilleurs résultats au cours des quelques matches suivant le changement de tête par rapport aux quelques matches qui le précédent, comme le démontrent Maria De Paola et Vincenzo Scoppa, : «Le problème, écrivent-ils, est que quand un dirigeant change d'entraîneur et voit les résultats de son équipe s'améliorer, il en conclura qu'il a pris la bonne décision, alors que les résultats avaient autant, voire plus, de chances de s'améliorer s'il n'avait rien fait. Ce genre de raisonnement peut expliquer la croyance largement répandue dans le milieu du foot en l'«effet psychologique». Bien sûr, dans certaines situations, changer d'entraîneur au cours d'une saison peut être un bon choix de la part des dirigeants. Mais l'efficacité de cette méthode forte a tendance à être largement surestimée par les acteurs du football, et les dirigeants ont tendance à y avoir recours de plus en plus souvent. Ils arrivent à un début de conclusion logique : «Les conseils d'administration des équipes s'en remettent peut-être à la théorie du bouc émissaire selon laquelle licencier un entraîneur représente un outil utile pour calmer des actionnaires et des supporters mécontents et éviter de faire face à leur responsabilité dans les mauvaises performances de leur équipe», écrivent-ils. L'influence des entraîneurs D'autres chercheurs soutiennent une autre théorie qui privilégie le rôle des entraîneurs dont certains sont tout simplement idolâtrés. Nous savons que certains bénéficient d'une certaine renommée et on les appelle pour remporter des titres ou en véritables pompiers pour échapper à la relégation. Et les résultats leur donnent raison ! Reste à étudier ce qu'ils ont fait et mis en place. On l'oublie aux dépens des résultats : l'équipe a atteint une bonne partie de ses objectifs ou est sauvée d'une relégation. Personne ne songe aux moyens employés en remettant en selle des joueurs écartés, ou qu'il est allé chercher du sang neuf auprès des sections jeunes. C'est ce qu'a fait par exemple Marchand en donnant confiance à des jeunes, en gonflant psychologiquement des éléments mis à l'écart, et en confiant plus de responsabilités à des joueurs cadres qui ont su entraîner dans leur sillage le reste de leurs camarades. Indépendamment de cela, le football moderne prête plus d'influence aux entraîneurs qu'ils n'en ont réellement. On confond souvent entre un entraîneur à prestige et qui possède un véritable savoir-faire dans la direction de ses hommes avec le technicien formateur qui prend son temps et surtout agit comme le fait un maquignon dans le choix du pur-sang sur lequel il mise sans hésiter. Pour le premier, il faut le «capital social» d'une équipe (la compétence de ses joueurs, la culture du club, sa structure, ses moyens financiers, son impact social, etc.) pour pouvoir agir et les résultats sont alors conformes à l'attente. Tous les chercheurs sont unanimes à propos de ce raisonnement. Un mythe tenace Pour le second, c'est le coup d'œil et le courage d'entreprendre et d'oser en dépit des risques. Mais les réactions des joueurs qui auront à endosser les responsabilités constituent une révélation qu'appuie la théorie rappelant les travaux de Simon Kuper et Stefan Szymanski dans leur livre «les attaquants les plus chers ne sont pas ceux qui marquent le plus». Les deux économistes avaient montré que la position finale des équipes en Premier League était fortement corrélée à la masse salariale. En d'autres termes, même José Mourinho, Zizou ou même Fergusson n'auraient probablement pas réussi à sauver une de nos équipes reléguées en ligue à la saison passée. C'est une question de moyens. Alors que, choc psychologique ou pas, l'entraîneur de cette équipe reléguée aurait remporté le titre national avec celle qui l'a conquis avec l'effectif dont il disposait. Le mythe reste certes tenace, mais bien des impondérables le remettent souvent en question. Reste la façon de traiter ces techniciens remerciés, qui subissent parfois bien des affronts. Choisis souvent comme boucs émissaires, pour protéger ceux qui ont mal fait leur travail de logistique, de financement et d'encadrement, ils sont spontanément congédiés de manière brutale et sans ménagement. Leur remplacement est souvent décidé une fois le remplaçant trouvé ou débauché, bien des semaines à l'avance. Il est le dernier à le savoir. Quant à la manière, disons qu'en la matière, la courtoisie est la qualité la moins partagée dans ce milieu. Le meilleur «choc psychologique», à notre humble avis, est de mettre joueurs et encadrement technique dans les meilleures conditions de travail. Lorsque les joueurs savent qu'ils n'ont qu'à se présenter sur le terrain d'entraînement ou de compétition pour «faire leur travail» que l'encadrement technique et eux-mêmes ne travaillent pas à crédit ou sous les menaces, et que l'ambiance est saine et franche, les résultats viennent d'eux-mêmes. Mais lorsque cela grenouille et que ça bidouille quelque part autour du club, les failles laissent forcément passer bien des problèmes qui agissent sur les résultats.