Un colloque intitulé « Les archives des victimes : un instrument de la réconciliation et une part de la mémoire collective» a été organisé avant-hier par la Coalition tunisienne des victimes et de la réhabilitation en partenariat avec les Archives nationales et le Centre international pour la justice transitionnelle (Ictj). Une actualité a motivé la tenue de ce colloque auquel ont pris part le président de l'Instance d'accès à l'information et un représentant de l'Instance de protection des données personnelles : le choix de l'IVD de confier à Cloud Microsoft Asure et non pas à une institution tunisienne la mission de rassembler l'ensemble des vidéos et documents sonores de l'instance. Hédi Jalleb, directeur des Archives nationales, s'exprime sur cette initiative de l'IVD L'Instance vérité et dignité a lancé un appel d'offres en janvier à travers son site web pour l'acquisition d'une plateforme en vue de télécharger le fonds documentaire et audiovisuel qu'elle a réussi à collecter. Quel est votre avis sur cette initiative ? Lorsque nous avons pris connaissance de l'appel d'offres, nous avons envoyé un courrier à la présidente de l'IVD pour demander l'annulation de cet appel d'offre contraire à la souveraineté nationale. Nous lui avons recommandé de refaire un autre appel d'offres respectant la loi et ciblant des institutions tunisiennes. La présidente a répondu qu'elle était indépendante du pouvoir exécutif et que nous n'avions aucun droit sur elle. Elle a ajouté qu'elle était prête à « nous pardonner cette faute de tact ». Au même moment, plusieurs victimes qui ont confié leurs témoignages à la Commission vérité lui ont également envoyé un courrier pour protester contre l'hébergement de ces documents par une plateforme étrangère et exigeant leur transfert aux Archives nationales après la fin du mandat de l'Instance. L'idée de ce débat sur les archives de l'IVD vient de là. Nous voulions assurer un fait important : nous avons assez de compétences en Tunisie pour garantir la conservation de ces archives chez nous ! A ce débat, nous avons invité tous les intervenants dans ce domaine, y compris les institutions étatiques qui ont permis l'accès de leurs documents à la Commission vérité. Justement quels sont les ministères qui ont permis à l'IVD d'accéder à leurs archives ? Essentiellement les ministères des Affaires sociales, de la Santé et de la Justice. Grâce à la collaboration de ce dernier ministère, l'IVD a pu faire des photocopies de tous les dossiers des procès politiques des 60 dernières années. Ce qui est une première pour un pays expérimentant un processus de justice transitionnelle. Le ministère de l'Intérieur a donné une partie des documents demandés par l'IVD, dont ceux concernant les événements du pain de 1984 et les événements du 27 Janvier 1976. Ces documents archivés chez nous ont été photocopiés par l'IVD avec l'accord du ministère de l'Intérieur. L'Instance a eu également accès à une bonne partie des dossiers de la présidence de la République que nous avons auparavant répertoriés. La loi stipule qu'à la clôture de son mandat, « l'IVD confie la totalité de ses documents et dossiers à une institution de préservation de la mémoire nationale créée à cet effet » ? Que pensez-vous de cette dernière alternative citée par la loi sur la justice transitionnelle ? Créer une nouvelle institution dédiée à la mémoire n'est pas pour demain. En plus pour qu'une telle entité acquière les compétences et l'expertise des Archives nationales, il faut compter au moins trente ans. Pourquoi fonder une nouvelle institution alors que les Archives nationales existent depuis 140 ans ? Vous avez relevé dans votre intervention toute la fragilité des archives de l'IVD, notamment celles enregistrées sur applications numériques... En effet, ce support est susceptible d'être aisément perdu car facilement piratable et transformable. Toutefois, aux AN, nous possédons un dispositif nécessaire à la sauvegarde de cette matière. Si ces documents étaient confiés aux AN tout citoyen pourrait-il y accéder ? Ou doit-on attendre 60 ans, selon la loi sur les archives, pour consulter des témoignages plutôt sensibles et parsemés de données personnelles ? Non, les Archives nationales sont obligées de donner en consultation tous les documents concernés par le champ de la loi d'accès à l'information, qui fait partie de la nouvelle génération de législations.