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« Le train de la justice transitionnelle est sur les rails »
Interview : Sihem Ben Sedrine, présidente de l'Instance Vérité et Dignité
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 06 - 2015

Sihem Ben Sedrine, journaliste dissidente au temps de Ben Ali, préside depuis le 9 juin 2014 l'Instance vérité et dignité. Une année est déjà passée depuis sa mise en place officielle. Probablement à cause des enjeux qu'elle représente pour la réussite du processus de la justice transitionnelle, mais aussi de la bipolarisation politique extrême du contexte dans lequel elle est née, l'Instance ne laisse personne indifférent. Interview-bilan avec sa présidente
La loi organique relative à la justice transitionnelle ayant demandé beaucoup de temps pour être adoptée, on s'attendait à ce que l'IVD commence rapidement à mettre en application une de ses missions fondamentales, à savoir «déterminer les responsabilités des organismes de l'Etat ou de toutes autres parties dans les violations des droits humains commises en Tunisie entre le 1er juillet 1955 et décembre 2014». Pourquoi avez-vous mis autant de temps pour commencer à auditionner les victimes ?
Permettez-moi de préciser tout d'abord que nous ne sommes pas du tout en retard quant au déroulement des travaux préparatoires de l'Instance malgré les conditions matérielles qui nous ont fait défaut. L'article 56 de la loi relative à la justice transitionnelle nous donne un délai de six mois pour élaborer notre règlement intérieur, concevoir un plan d'action pour la durée de nos activités, mettre en place nos manuels de procédure et nos bases de données. Nous n'avons pas réussi à élaborer un plan de communication, ni à ouvrir nos bureaux régionaux parce que le gouvernement Jomâa nous a concédé le tiers de notre budget pour l'année 2014 : 2,4 millions de DT au lieu de 7. Lorsque nous avons ouvert ce local en septembre dernier, c'est grâce au Pnud que nous avons pu disposer d'un minimum d'équipements. Le 15 décembre 2014, l'IVD a ouvert ses bureaux pour recevoir les plaintes, 13.000 nous sont parvenus jusqu'à aujourd'hui. Le 27 mai, elle entame les auditions. Il a fallu auparavant s'entourer des moyens logistiques et numériques adaptés à cette tâche et former le personnel pour réceptionner et écouter les victimes. D'autre part, la loi nous demande de déployer le mandat de l'IVD sur six commissions. Nous avons alors créé la commission investigations et recherches, la commission arbitrage et conciliation, une autre sur la réhabilitation et les réparations, une quatrième sur la conservation de la mémoire, une cinquième sur les réformes institutionnelles et une dernière transversale sur la femme. Nous venons juste de lancer la mise en place de nos bureaux à Kasserine, Sidi Bouzid, Sfax et Gafsa. Nous avons reçu le mois d'avril dernier la visite du président allemand, le principal artisan de la justice transitionnelle dans son pays. Il nous a expliqué que notre mission était de loin la plus lourde de toutes les autres commissions vérité dans le monde. Et que selon nos prérogatives et le temps de notre mandat, assez court par rapport à tous nos travaux, on devait fonctionner avec au moins 5.000 cadres et employés. Nous ne sommes que 100 fonctionnaires actuellement à l'IVD qui travaillent en moyenne à un rythme de douze à quatorze heures par jour !
Des voix s'élèvent aujourd'hui parmi les juristes et les militants des droits de l'Homme pour appeler à la révision de plusieurs articles de la loi organique de décembre 2013 sur la justice transitionnelle, dont ceux relatifs à l'étendue du mandat de l'IVD. Qu'en pensez-vous ?
Tout le monde ne partage pas ce point de vue, dont la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, ainsi que plusieurs associations de victimes. Tout en reconnaissant à ces organismes leur droit à vouloir changer la loi, je dirais qu'une année après la mise en œuvre de l'IVD, le train de la justice transitionnelle est parti. Il a bougé, il est sur les rails. Cette contestation est inopérante ! Cela dit, nous n'estimons pas que la loi est parfaite, bien au contraire. Nous sommes actuellement en pourparlers avec le ministère de la Justice, avec l'Instance indépendante de la justice pénale et plusieurs experts pour amender certains articles, notamment l'article 8 relatif aux chambres spécialisées. Nous voudrions y intégrer, selon les standards internationaux de la justice transitionnelle, les deux autres niveaux de juridiction, l'appel et la cassation. Et ne pas s'arrêter uniquement au niveau des tribunaux de première instance. Autre lacune, l'introduction dans la loi de deux violations, dont on ne retrouve aucune trace de sanction dans le Code pénal tunisien : l'exil forcé et la falsification des élections. Nous sommes actuellement en train de proposer des textes pour l'amendement de la loi afin de lui donner plus de cohérence.
Situer le cadre des atteintes aux droits de l'Homme très loin dans l'histoire, à partir de juillet 1955, alors que plusieurs documents de cette époque ont déjà disparu, ne prolonge-t-il pas abusivement le spectre et la période des violations ?
Non, je ne le crois pas. Nous avons déjà reçu des plaintes d'anciens combattants, qui demandent une réhabilitation de leurs droits et un traitement digne de leur lutte pour l'indépendance du pays. Ils veulent témoigner, ils ont des choses à dire sur l'histoire. Quel mal y a-t-il à ce qu'on leur donne la parole ?
Vous avez commencé à auditionner les victimes le 27 mai dernier. Comment se passent les séances d'écoute et quels types de dossiers concernent-elles ?
Les auditions se déroulent à huis clos dans quatre bureaux à l'IVD. Elles sont conduites par deux écoutants, des psychologues, des sociologues et des juristes. L'audition est enregistrée en vidéo avec l'autorisation de la victime, qui peut interrompre à tout moment l'enregistrement ou demander à l'effacer. Nous avons mis en place une unité psycho-médicale pour suivre l'état des victimes. C'est une opération très lourde et nous avons déjà enregistré le malaise d'une victime en cours d'interview. Vingt autres bureaux seront bientôt ouverts dans un local à proximité de notre siège. Les auditions réalisées concernent diverses violations dont la torture dans toutes ses formes, psychologiques et sociales. Mais aussi beaucoup d'atteintes aux droits des femmes. Sur les 13.000 dossiers que nous avons réceptionnés, la majorité absolue traite de la période de Ben Ali.
Quand est-ce que le grand public pourra-t-il suivre les auditions sur la chaîne de télévision publique ?
Nous sommes en train de préparer les conditions d'enregistrement pour le public dans un auditorium affecté à cet objectif. Il s'agit d'un travail d'experts dans le domaine du cinéma, qui vont étudier la scénographie, la lumière, la mise en place de la victime. Nous avons lancé un appel d'offres pour sélectionner un réalisateur de cinéma qui va travailler avec nous sur ces auditions. Deux critères président à rendre publique une affaire de violation grave des droits de l'Homme : l'adhésion de la victime pour raconter son récit et sa capacité à s'exposer et l'intérêt général à connaître ce récit afin de démanteler la machine dictatoriale et nous renseigner sur ses rouages et procédés. Les personnes seront accompagnées par des psychologues avant, pendant et après leur passage public. Les auditions auront parfois un caractère individuel et d'autres fois une dimension thématique, regroupant des personnes qui témoigneront par exemple sur le dossier des médecins complices de la torture, sur le harcèlement familial d'un prisonnier d'opinion ou sur la privation des ressources. D'autre part, avant d'entamer les auditions publiques, nous aurons à discuter, à établir et à signer avec les médias publics et privés une charte éthique. On voudrait que les victimes soient traitées par les journalistes avec tout le respect et la solennité qu'elles méritent.
Comment allez-vous procéder pour indemniser et présenter des réparations aux milliers de victimes de la dictature ?
Comme cité plus haut, nous avons mis en place une commission réparations et réhabilitation qui travaille sur les critères et barèmes de cette procédure. C'est à elle d'évaluer les réparations correspondant à chaque type de violation. Le Fonds dignité (karama) qui sera créé pour dédommager les victimes sera géré par l'Etat. L'IVD ici n'est que le donneur d'ordre soit pour demander aux autorités d'indemniser une personne ou pour recommander qu'une rue porte le nom d'une telle victime ou encore pour inciter l'Etat à offrir à une autre des soins ou une prise en charge sociale.
Avez-vous résolu le problème des archives de la présidence de la République ?
Oui, le problème avec la présidence est résolu. Dès le mois de janvier, nous avons entamé des discussions avec le nouveau cabinet, qui nous a affirmé l'attachement de la présidence à la continuité de l'Etat et au respect du processus de la justice transitionnelle. Depuis, une équipe des archives nationales s'est déplacée au palais pour inventorier le contenu des dossiers, qui seront par la suite transférés au local des Archives nationales. Les registres d'inventaire nous ont été donnés, ce qui facilite notre tâche et nous permet l'accès aux documents que l'on peut photocopier à tout moment.
Les archives de la présidence remontent-elles au temps de Bourguiba ?
Oui. Mais, il n'y a que 100 boîtes qui traitent de cette époque. Les archives de Bourguiba étaient déjà inventoriées depuis des années. Le plus gros du lot des documents concerne l'époque de Ben Ali, parce que le pouvoir s'est concentré pendant son régime à Carthage, entre les mains de l'ex-président. D'où sa dictature.
Et les autres archives, celles de la police politique notamment ?
C'est le problème auquel nous faisons face aujourd'hui. Les archives de la police politique sont éparpillées sur les multiples services qui constituaient ce corps spécial. Nous n'y avons pas accès pour l'instant, mais nous considérons que la justice transitionnelle ne peut réussir sans l'ouverture de ces documents qui ne font pas honneur à la deuxième République !
«La réconciliation» avec les hommes d'affaires notamment a été évoquée avec le président de la République le 20 mars dernier. Peut-on sortir ce principe du cadre de la justice transitionnelle ?
L'article premier de la loi sur la justice transitionnelle évoque la réconciliation comme objectif final de tout un processus. Avons-nous besoin de réviser la loi pour arriver à la réconciliation ? Non. La loi est suffisamment claire là-dessus. En plus, la commission d'arbitrage de l'IVD sur les délits financiers est parfaitement outillée pour répondre à ce besoin. On peut bien sûr effacer l'ardoise de certains. Mais il faut le faire après que ceux qui ont volé l'Etat et se sont enrichis illicitement s'excusent et rendent au moins une part de ce qu'ils ont pris. C'est alors que les poursuites judiciaires pourront être abandonnées contre eux et qu'ils peuvent recouvrer leurs droits civiques et politiques. Oui, certains hommes d'affaires ont déjà recouru à cette instance. Certes, ils ne sont pas nombreux. Mais personnellement, je reste très confiante par rapport à l'avenir de la justice transitionnelle. Ici à l'IVD, nous n'avons pas de comptes à régler avec qui que se soit, ou avec un quelconque parti politique. Nous voulons régler son compte à un système qui bridait les libertés d'un peuple en entier !


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