Par Mohamed KOUKA A l'origine de la technique picturale de Nja Mahdaoui il y a une telle dextérité dans l'organisation visuelle du tableau calligraphique qu'on en reste littéralement stupéfait de tant d'adresse, d'ingéniosité, de maîtrise technique d'abord. Une technique calligraphique sûre de ses possibilités illimitées dont il a un contrôle total. La lettre où qu'elle soit fait signe s'enchevêtrant avec d'autres lettres dans un géométrisme lumineux. C'est ici la lettre pure, à l'abri de toute tentation qui l'enchaînerait et la dissoudrait dans le mot, c'est –à-dire dans un sens contingent, c'est l'alphabet avant le langage, dirait Barthes. De son côté, Claudel disait de la lettre chinoise qu'elle possédait un être schématique, une personne scripturale. C'est ce qui advient à la lettre arabe sous le tracé de la plume de Nja Mahdaoui. Me vient alors cette assertion du philosophe Alain, il s'agit d'une observation assez paradoxale, au chapitre VII de son «Système des beaux-arts», qui vient ébranler la distinction traditionnelle que l'esthétique et la philosophie établissent entre l'art et l'artisanat. Alain considère que «la loi suprême de l'invention humaine est que l'on n'invente qu'en travaillant. Artisan d'abord». Alain n'accorde aucune transcendance aux idées qui prétendent régir la création artistique. Pour lui, c'est dans la production même et l'exécution que se trouve l'origine de l'œuvre. Il condamne, suivant le rationalisme de Descartes, l'imagination — (cette folle du logis, selon Pascal) — qu'il juge trop instable en inconsistante pour servir de fondement à l'art. «La loi suprême de l'invention humaine est que l'on n'invente qu'en travaillant. Artisan d'abord». Comme l'absence nette du juste et du vrai dans l'art équivaut à l'absence d'art, l'homme entier s'évanouit, prévient Charles Baudelaire. En tant qu'homme de théâtre je m'inscris totalement dans cette configuration : oui, artisan d'abord ! Un homme de métier qui voit naître son travail, et c'est tout un ensemble de formes esquissées dans la matière, soutenues, étayées par des règles intangibles, une technique sûre, un système de signes, bref un langage. Nja Mahdaoui est un artisan de génie. L'incroyable maîtrise de la matière calligraphique dont il fait preuve dote ses œuvres d'une aura exceptionnelle. Sous son pinceau — sa plume — dois-je écrire la calligraphie vient sublimer, pathétiser, rationaliser l'image. Les possibilités d'expression à partir de ce donné de base mettent en évidence le caractère hautement spirituel de son art. La peinture de Nja Mahdaoui présente une indivision du sensible et de l'intelligible. La calligraphie offre un langage primordial étourdissant, qui montre comment l'art occupe le milieu entre le sensible pur et la pensée pure. Combien a-t-il fallu à l'artiste de minutie une application si attentive aux détails de tout instant, pour dégager des figures, des formes, d'une éloquence et d'une présence absolument magiques dans son tracé géométrique méthodique ? Ici la fantaisie se fait science et la science se fait magie. Dans cette rétrospective, la première période du peintre se distingue par un usage de la couleur comme création picturale, qui me rappelle un peu une certaine peinture de Turner , ‘‘Coucher du soleil' ou ''Structure de couleur'' — à titre d'exemple — et dont un critique d'art de l'époque disait «du point de vue technique, toute la puissance de la peinture repose dans notre capacité à retrouver cet état que l'on pourrait nommer ‘‘l'innocence du regard''». Oui, j'utiliserais cette approche et j'ajouterais fraîcheur et délicatesse esthétique dont est emprunte l'œuvre de Nja Mahdaoui, cet artiste universel. La rétrospective de 1966 à 2018 de Nja Mahdoui est un événement culturel majeur en ces temps de manque, courez-y ! Vous seriez ravis, enchantés et transportés bien au-delà de la banalité du monde... Elle a lieu en ce moment à La Marsa.