L'économie sociale et solidaire pourrait constituer l'un des leviers d'une économie en berne De l'autre côté de la Méditerranée, en France, l'économie sociale et solidaire (ESS) emploie près de 2,5 millions de salariés, soit 10,5% du total des emplois. Elle mobilise 15 millions de bénévoles, soit l'équivalent de 4% de la population active (alternatives économiques, novembre 2017). En 2014, le gouvernement français est contraint de légiférer pour organiser le secteur, et dote l'ESS d'une loi spécifique. Malgré cet énorme potentiel de l'ESS dans la création d'emplois mais également dans l'innovation et la transformation sociale, l'écosystème relatif à l'ESS en Tunisie ressemble plus à un désert qu'autre chose. Officiellement, et selon une «étude stratégique» menée par le ministère du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale, l'ESS ne représente encore que 0,5% du Produit intérieur brut (PIB). L'ESS est balbutiante en Tunisie, mal connue, parfois galvaudée, pourtant, elle porte en elle les germes d'un nouveau modèle de développement, qui ne soit pas basé exclusivement sur la recherche du profit. C'est dans ce contexte que la jeune chambre économique de Tunis a organisé hier, au siège de l'Utica, la deuxième édition de «Make it social». Vulgariser le concept d'économie sociale et solidaire et le distinguer d'autres concepts à l'instar de la responsabilité sociale des entreprises ont été les principaux objectifs de la rencontre. Qu'est-ce que l'économie sociale et solidaire ? Qu'elles soient des coopératives, des mutuelles, des associations, des fondations ou même des entreprises, les opérations de l'économie sociale et solidaire répondent en fait à un besoin négligé par le secteur privé ou impossible à réaliser par l'Etat. Que ce soit dans le domaine de la santé, du transport, du soutien aux personnes vulnérables, ou dans le domaine bancaire, les opérateurs obéissent à certaines règles (non encore écrites en Tunisie). La première de ces règles est de reléguer la lucrativité à la dernière place. En effet, les organisations opérant dans le cadre de l'ESS réinvestissent tout gain. Quant aux entreprises, elles réinvestissent la grande majorité des profits (plus de 50% selon la loi en France). Deuxième règle et non des moindre, c'est celle de la gouvernance démocratique de ces structures. Les parties prenantes, indépendamment de leurs taux de contribution, participent de manière égale aux mécanismes de prise de décision. Expert consultant en développement stratégique, Koureich Jaouahdou affirme que l'ESS est un «choix» qui pourrait constituer une partie de la solution pour résoudre les crises actuelles. A titre d'exemple, Jaouahdou cite certaines expériences de coopératives agricoles, qui tentent de calmer les hausses des prix de certains fruits et légumes en raccourcissant les circuits de distribution. L'expert évoque également des expériences venues d'autres pays, tels que la France, qui ont vu l'émergence de banques sociales et solidaires qui prêtent aux plus démunis. L'assurance est aussi un domaine où des synergies sont possibles afin d'offrir aux plus démunis une couverture. A l'heure de la décentralisation, Koureich Jaouahdou estime que les opérateurs doivent régler leur pendule et jouer le jeu de la proximité. «On pourrait partir des besoins spécifiques des régions afin de les satisfaire dans un cadre ESS», explique-t-il. Bientôt une loi ESS ? De son côté, Abdeslam Nagazi, universitaire et président de l'Organisation maghrébine des études et du développement des ressources humaines, précise qu'il n'y a pas lieu de mettre en concurrence l'économie sociale et solidaire avec les missions du secteur privé et public. «Il s'agit d'une troisième voie, explique-t-il. L'ESS s'attaque à des domaines délaissés par les autres secteurs». Intervenant en tant qu'experte en développement territorial et en investissement, mais proche du dossier ESS au ministère du Développement, de l'Investissement et de la Coopération internationale, Nadia Gouta a assuré que l'ambition du gouvernement, est de faire porter à 1,5% (contre 0,5% actuellement) le taux de participation de l'ESS au PIB. Le ministère du Développement, de l'Investissement et de la Coopération international a semble-t-il élaboré une stratégie qui aboutira, dans les mois qui viennent, à mettre en place un cadre juridique pour encadrer mais surtout encourager l'ESS. «L'ESS a été pour la première fois mentionnée au plan de développement 2016-2020», affirme Nadia Gouta. Le taux de 0,5% est cependant contesté par Kouraich Jaouahdou, qui clame qu'étant non organisée, l'ESS agit dans l'informel, et concourt à 4% au PIB. Toujours est-il qu'en l'absence de statistiques claires, conformément à des critères bien définis, il est difficile aujourd'hui de mesurer l'ampleur du phénomène. Une chose est cependant certaine, l'économie sociale et solidaire pourrait constituer l'un des leviers d'une économie en berne.