Insérée dans le Plan de développement 2016-2020, l'Economie Sociale et Solidaire (ESS), est l'un des grands chantiers entrepris par le ministère de l'Investissement et de la Coopération internationale. Avec l'appui du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) et le financement de la Coopération Suisse, ce nouveau secteur, identifié comme tel par le gouvernement, prendra pour base une étude stratégique réalisée avec le concours d'experts tunisiens de renom. De quoi s'agit-il ? Et en quoi cette nouvelle économie pourrait-elle assurer la pérennité de la société et un développement durable, dans un monde ultra-compétitif où la classe défavorisée est très souvent marginalisée ?
La Conférence nationale intitulée « l'économie sociale et solidaire, levier de développement en Tunisie » s'est tenue le 5 juillet 2017 sous le haut patronage du chef du gouvernement Youssef Chahed et en présence du ministre de l'Investissement et de la Coopération internationale et du ministre des Finances par intérim. L'étude présentée lors de cette conférence a permis d'expliquer le cadre conceptuel de l'ESS et les principales problématiques qui freinent le développement du secteur. Elle dégage également les principaux axes sur lesquels devra se baser la stratégie de développement du secteur, à savoir : La refonte du cadre juridique et institutionnel en vue de fournir à tous les acteurs du secteur une certaine sécurité juridique et une réglementation claire.
Selon la nouvelle Constitution tunisienne de janvier 2014, le développement durable est l'une des priorités du gouvernement. Les effets des dynamiques compétitives doivent donc être mitigés par l'intervention de l'Etat, garant des droits sociaux de ceux qui sont marginalisés à cause du libre jeu de l'économie de marché. Si l'on pense aux prestations sociales qui garantissent le droit au logement, à l'éducation et à la santé, on se rend rapidement compte que l'Etat et le marché opèrent séparément. Le second génère physiologiquement des disparités que le premier devra annihiler via une sorte de redistribution des richesses. Il en résulte que, dans le droit tunisien, l'économie devra se conformer aux pouvoir publics appelés à corriger les disparités crées par le marché. Alors comment l'économie peut être sociale et solidaire ?
Pleinement reconnue au niveau législatif en France et dans plusieurs pays d'Amérique latine, cette nouvelle manière de penser l'économie est encore dépourvue de textes clairs en Tunisie. Par définition, cette nouvelle économie devient sociale par ce qu'elle est capable d'exprimer en positif, le devenir des relations entre individus qui concluent des transactions gouvernées par le paradigme de la réciprocité. Dans le sens où une personne agit en faveur d'une autre non pas par le moteur d'une récompense mais parce qu'elle s'attend à ce qu'une autre personne agisse en sa faveur, directement ou indirectement, dans le futur. Ce mécanisme, théorisé il y a des décennies, semble agir de manière spontanée lorsque les personnes privilégient l'intérêt général, le bien commun. Il s'agit donc d'une économie de la société fondée sur des relations sociales soudées par le devoir de solidarité. Ce procédé de consolidation de la société civile tend vers un changement social qui consiste à éviter d'affronter les problématiques avec des instruments et procédés correctifs et de réparation, comme ce fut le cas à « El Kamour » par exemple et où l'Etat a joué le rôle de pompier. En définitive et en théorie, l'ESS fonctionne de manière à garantir l'intérêt général.
En Tunisie, les différentes composantes de l'économie sociale et solidaire comme les coopératives, les mutuelles de services agricoles, les groupements de développement agricole et les associations qui opèrent dans le secteur social, ne représentent que 1% du PIB. Sa contribution en termes de création d'emploi est encore plus faible. En cause, l'absence d'une loi organique qui régule le secteur. Ce constat, repris lors de la présentation de l'étude, par l'économiste et consultant auprès de la PNUD, Mohamed Haddar, est sans appel. L'économiste souligne également l'absence de financement pour ces initiatives. Dans certains pays dit développés, l'Economie Sociale et Solidaire est devenue une composante essentielle des dynamiques des territoires, une forme d'organisation économique qui contribue à hauteur de 10 à 15% de l'emploi total et entre 5 à 7% du PIB et qui constitue donc un gisement important pour la création de richesses et d'emplois.
Avec le mouvement démocratique accéléré initié en 2011 et l'inscription de l'ESS comme troisième secteur dans le plan quinquennal de développement 2016-2020, arrive la reconnaissance de l'importance du secteur et de son indéniable impact positif sur l'économie du pays. Et pour cause, depuis 2011, le nombre d'associations est passé de 12.000 à 20.000, en dehors de celle-ci, le nombre de coopératives tunisiennes s'élève à 300. S'ajoutent une centaine de mutuelles et près de 2700 autres associations qui interviennent essentiellement dans la sphère du développement (association de micro-crédits et environnement). Afin d'intégrer pleinement le secteur, il s'agira également de mettre en place une bonne gouvernance au niveau national, régional et local à travers des mécanismes et organes représentatifs garantissant le fonctionnement démocratique de ses organisations, leur transparence et la culture de redevabilité. Le rapport, souligne ensuite l'urgence d'assainir certaines filières de l'ESS et la mise en place d'instruments de financement adéquats, le tout accompagné d'une bonne stratégie de communication.
De cette conférence nationale, a émergé l'idée que l'ESS incorpore le paradigme de la démocratie dans le sens étiologique d'un gouvernement du peuple en opposition avec un modèle de développement « for profit » qui relègue le client final au rôle de consommateur. Avec l'ESS donc, les bénéficiaires de l'activité sont aussi acteurs et dans cette optique, la dichotomie public-privé devient dépassée. Avec l'ESS le défi sera donc d'enliser le secteur privé dans l'intérêt général, car idéalement les individus sont tous porteurs de ce même intérêt et de manière indifférenciée. Dans les pays d'Amérique latine où ce modèle a trouvé pied, sa diffusion s'est passée de manière spontanée, répondant ainsi aux demandes sociales d'un modèle économique plus équitable.