La plupart des hôtels affichent déjà complet. Après l'effervescence du mois de Ramadan, suivie de celles de l'Aïd et des examens de fin d'année scolaire, un ouf de soulagement s'empare enfin de la population qui s'apprête à changer de fusil d'épaule, enhardie qu'elle est par la quête d'un repos amplement mérité. Un repos qui coïncide, comme chaque année, avec le démarrage de la saison estivale qui reste, traditions obligent, synonyme de relax, de farniente et de défoulement. Comment s'annonce cette saison ? De quoi sera-t-elle faite ? Profitera-t-elle au pays et à ses habitants ? Se déroulera-t-elle sans encombres ? Que lui a réservé l'Etat pour que la réussite soit au rendez-vous ? Apparemment, empressons-nous de dire qu'elle nous promet monts et merveilles et, toutes proportions gardées bien sûr, des... châteaux en Espagne ! Pour s'en convaincre, commençons par le haut de la pyramide. Là, où l'Etat, gérant de cette saison estivale, semble s'y être préparé dans des conditions qualifiées d'idéales, d'autant plus que, selon les prévisions du ministère du Tourisme et de l'Artisanat, tous les records seront, cette fois, pulvérisés, en termes de nombre d'arrivées et de nuitées, récompensant ainsi, de magistrale façon, d'interminables et percutantes campagnes promotionnelles qui avaient ciblé, depuis l'hiver et à la faveur d'une courbe ascendante, aussi bien les marchés traditionnels (France, Italie, Allemagne, Angleterre...) que de nouveaux marchés (Asie notamment). Et c'est un peu grâce à l'agressivité de ces campagnes de séduction ayant impliqué ledit ministère, les tour-opérateurs et les agences de voyages, que des hôteliers, qui avaient fermé boutique, ont décidé de rouvrir leurs portes. De surcroît, ces prévisions optimistes n'auraient pu l'être n'eût été cette superbe «embellie sécuritaire» traduite par le joli revers infligé au terrorisme, ce dernier étant devenu presque définitivement hors d'état de nuire. Et le tourisme local ? Si l'Etat a donc toutes les raisons de jubiler face à ces perspectives des plus prometteuses, qu'en est-il de l'estivant tunisien, celui-là même pour qui les vacances sont sacrées et constituent un droit légitime ? L'on sait qu'il y a deux catégories d'estivants : d'un côté ceux qui ne vont pas souvent à la mer, se contentant de rares virées, et de l'autre ceux qui sont habitués des courts séjours familiaux dans les hôtels. Dans les deux cas, c'est de tourisme local qu'il s'agit. Un créneau qui ne cesse de prospérer, motivé qu'il est par les nombreuses opportunités qu'il offre : hôtels de différents standings, donc accessibles à toutes les bourses, offres promotionnelles tentantes, programmes d'animation et d'excursion répondant à tous les goûts, facilités de paiement. Bref, tout est réuni pour aimanter une clientèle locale, il est vrai exigeante et généralement connue pour être éternellement insatisfaite. Cependant, on est curieux de savoir si le tourisme local tiendra le coup, cet été, dans le sillage de l'affluence record des touristes étrangers. Ces derniers seront-ils finalement privilégiés et préférés aux locaux qui dépensent pourtant plus que les autres? Et quand on sait que la plupart de nos hôtels affichent d'ores et déjà complet pour les mois de juillet et d'août après avoir raflé la mise en s'octroyant le maximum de réservations de l'étranger, et quand on sait également que le vacancier tunisien ne s'est pas encore départi de son vieux réflexe de retardataire en la matière, on peut parier que le tourisme local ne fera pas le poids, cet été. Il est, pour ainsi dire, appelé à vivre des jours difficiles, surtout que, pour les non-résidents de l'hôtel parmi les Tunisiens, il va falloir compter avec une hausse certaine des tarifs d'accès et de consommation que vont appliquer, croyons-nous savoir, la plupart des hôteliers. «Une hausse inévitable», se défend l'un de ces derniers qui impute cette décision à «la montée vertigineuse des dépenses de gestion et d'approvisionnement, outre celle des différentes taxes». Le bonheur des uns faisant le malheur des autres, cette décision est jugée impopulaire par les consommateurs locaux qui l'ont vue d'un mauvais œil. L'un d'eux que nous avons approché est tout simplement inconsolable. «Avec, tempête-t-il, le super privilège du fameux «All inclusive», une bonne partie des touristes qui viennent chez nous à bas prix, ne consomment que des miettes, contrairement au client tunisien qui reste adepte de la folie dépensière. Lui alourdir la note finira par le chasser et causer ainsi à l'hôtelier un manque à gagner considérable». Le citoyen lambda, heureusement, n'est pas à court d'idées. A défaut d'hôtel, une seule destination : les plages publiques. Là où avec zéro dépense, tout est fait pour s'en donner à cœur joie, d'autant plus qu'on y amène tout : plat préparé à la maison, fruits, boissons et tout le bazar. Et même sans voiture, on peut y aller, les sociétés de transport public réservant, durant l'été, des navettes quotidiennes entre les villes et la plage. Les familles nécessiteuses et celles au moyen revenu ne peuvent qu'en être comblées. Alors, on ne bronzera pas idiot, cet été ? Acceptons-en l'augure.