Une vie qui ressemble à un roman, des métiers disparates avant la vocation finale, des périples qui le mènent jusqu'en Chine, la fondation de l'école du réalisme littéraire arabe, des dizaines de publications... Le parcours radicalement non conventionnel de Hanna Mineh retentit dans une écriture unique de créativité et d'originalité sur plus d'un demi-siècle sans attirer pourtant l'attention du comité du Prix Nobel. Faute de traduction exhaustive, peut-être. «Le métier d'écrivain n'est pas un bracelet d'or, mais la voie, le chemin le plus court à une misère totale. Ne me comprenez pas mal, la vie m'a beaucoup donné et on dit que je suis l'auteur arabe le plus publié, avec Mahfouz après le Nobel et Qabbani. Ils me demandent aujourd'hui mes premiers essais littéraires qui pourraient servir de matière aux chercheurs et aux critiques mais, pour moi, ce ne sont plus que des feuilles d'automne qui ont fait tomber des lampadaires bleus», avait dit Hanna Mineh comme s'il avait l'intention de laisser une maxime à la postérité. Et le sens est clair ; il restera invariablement celui qui se tourne vers l'avenir, ne daignant pas s'arrêter devant le passé. Le romancier, un homme à tout faire ? Car le passé de Hanna Mineh a toujours été façonné dans la forge de l'avenir comme quelqu'un qui penserait qu'il ne sert à rien de regarder derrière soi. Pourtant, il y a beaucoup à y voir, en matière de forgeage et d'expérience. Il a roulé sa bosse et n'a hésité devant aucune manière de gagner sa vie et sera d'abord barbier et porteur dans le port, puis marin avant de travailler comme réparateur de vélos, garde d'enfants dans une maison de riches, employé dans une pharmacie, porteur dans le port de Ladhiqiyya... avant d'entamer le chemin qui le conduira vers sa vocation finale. Hanna Mineh a ainsi commencé à écrire des pétitions gouvernementales, puis des articles et petites nouvelles dans des journaux de Syrie et du Liban, ensuite il a tâté du journalisme puis est passé à l'écriture de contes et de séries radio, tout en étant fonctionnaire dans le secteur public. C'est la dernière station avant la vocation : romancier. Sa vie littéraire démarre sur un mystère alors que sa toute première pièce disparaît et ne sera jamais connue du public. Il se fait donc un nom avec l'ouvrage suivant ; son premier long roman, Les Lampes Bleues. Ce sera le départ d'une longue carrière qui enfantera pas moins de 39 romans et quelques contes, dont plusieurs ont été adaptés dans des films et des séries syriennes. La parabole du Prix Naguib Mahfouz Sa conscience politique émerge, dit-on, dès 12 ans quand il manifesta son opposition à la colonisation française. Sa conscience universelle se forma tout au long d'un parcours, non seulement personnel et national, mais aussi par ses nombreux voyages entre plusieurs pays où il semble avoir surtout été marqué par ses séjours en Europe puis en Chine. C'est peut-être de là que vient son inclination à souvent évoquer la mer, ses dangers et la vie à bord dans ses romans. Une expérience connue à la dure qui le rend particulièrement sensible aux plus démunis, à l'injustice, à la domination, à la corruption, l'impérialisme, l'oppression, prenant toujours position pour les pauvres contre les riches et inaugurant ainsi une vraie révolution littéraire dans ses écrits dont le but ultime était manifestement de contribuer à l'éclosion d'une vraie conscience au sein de la nation arabe, pas seulement en Syrie. Une écriture souvent controversée dès son premier roman qui a fait de lui un précurseur du mouvement réaliste de la littérature arabe, ce qui ne semble pas avoir été suffisant pour que les grands éditeurs s'attellent à la traduction de ses ouvrages. De fait, seuls quelques-uns ont été traduits en anglais et en français. Et c'est peut-être la raison principale derrière le désintérêt du comité du Prix Nobel pour Hanna Mineh. Il a pourtant été lauréat de plusieurs prix littéraires arabes, notamment le prix Naguib-Mahfouz décerné en Egypte. C'est le prix littéraire le plus prestigieux d'Egypte que décerne l'Université américaine du Caire qui se charge de traduire l'ouvrage récompensé en anglais avant de le publier par les Presses de l'Université. Un Prix Nobel par ricochet ! Bio Hanna Mineh, qui vient de nous faire ses adieux le 21 août 2018 à Damas (Syrie) à l'âge de 94 ans, décédé au terme d'un long combat contre la maladie, est un romancier syrien né à Ladhiqiyya le 9 mars 1924 puis a vécu son enfance dans un village près d'Alexandrette, sur la côte syrienne. Après cinquante ans de carrière, il était devenu l'un des grands noms de la littérature arabe où il s'illustre par le réalisme de ses romans et il est ainsi considéré comme le père du roman arabe moderne. Il a participé à la fondation de l'Association des écrivains syriens et l'Union des écrivains arabes, union qu'il a quittée en 1995 par solidarité avec l'écrivain Adonis.