Le documentaire «Edouard Glissant: un monde en relation» (Mali, 2009), présenté dans le cadre de la compétition officielle réservée aux documentaires de la 23ème session des Journées cinématographiques de Carthage (JCC 2010), porte à l'écran une série d'entretiens réalisés en 2009 par le Malien Manthia Diawara avec le poète et philosophe martiniquais Edouard Glissant, à l'occasion d'une traversée de l'Atlantique qu'ils ont effectuée ensemble à bord du Queen Mary II, de Southampton en Grande Bretagne jusqu'à Fort de France en Martinique. Si le documentaire est tourné à l'occasion d'une traversée de l'Atlantique, il est au fond une remontée: il commence en Martinique, autour d'un mémorial de l'esclavage à la pointe du Diamant, là où a échoué un bateau négrier clandestin. Cette traversée et ce mémorial font évoquer à Glissant l'Afrique, «terre des diasporas, berceau de toutes les humanités, dont la condition a l'ailleurs pour vocation». Mais à l'image de la poésie de Glissant, cette évocation est celle «de la trace, du résiduel, en conjuration de l'obsession de l'origine», relève Maha Ben Abdeladhim, poétesse et chercheuse tunisienne, familière de l'œuvre de cet auteur dont le Sel noir est peut-être l'un des plus beaux poèmes écrits sur Carthage. Tourné sur le mode, presque intime, de la conversation amicale, le documentaire laisse se déployer la réflexion, archipélique, rhizomatique du poète, qui développe ses thèmes de prédilection, comme l'altérité, la tragédie des peuples déracinés, "le diversel" se démarquant de l'universel, s'inscrivant dans le désancrage, démontant les logiques du pouvoir. «Glissant est de cette lignée d'hommes pour lesquels la poésie est un faire, le lieu de résolution d'une souffrance, d'embranchement de l'individuel au collectif, en un mot: politique. Ses réflexions sur l'économie et l'écologie sont à écouter précieusement» fait remarquer Maha Ben Abdeladhim. En effet, sur le siècle et le monde, les propos de Glissant sont à la fois lucides et visionnaires. Il s'en dégage une complexité tournée vers le monde de la multiplicité des imaginaires, et non sur soi comme au théâtre grec. Un monde en relation donc, une relation qui est «un investissement visionnaire dans un avenir qui a appris son passé dans d'autres livres que ceux des vainqueurs», conclut Maha Ben Abdeladhim. Outre son activité de cinéaste, Manthia Diawara est professeur de littérature comparée et de cinéma et directeur des Etudes africaines à l'institut afro-américain de l'université de New York.