Poète et écrivain, Paul-Auguste Arène est né en 1843 à Sisteron en Provence. Bien qu'ayant publié une quinzaine de titres entre 1868 et 1896, il n'en demeure pas moins vrai qu'il reste parmi les écrivains français méconnus, son nom n'étant le plus souvent cité que pour évoquer une certaine amitié avec Alphonse Daudet, en compagnie duquel «il fréquente les cafés littéraires» à Paris. Il semble même que Les Lettres de mon moulin furent le fruit d'une coopération entre les deux hommes, avant que Paul Arène ne décide de voler de ses propres ailes. C'est à partir de 1868 que Paul Arène commence sa véritable carrière de poète et d'écrivain ; Vingt jours en Tunisie paraissent en 1884, deux années après le voyage que l'auteur fit dans la régence de Tunis, désormais protectorat français. Paul Arène débarque à La Goulette par une chaude journée d'août 1882. Pendant trois semaines, il parcourt le pays, visitant Tunis et sa banlieue, Sousse, Kairouan, Monastir, et les oasis de la région de Gabès. Pour éviter l'insécurité qui sévissait encore dans le pays, quinze mois après le débarquement des forces françaises, l'essentiel des déplacements de l'auteur-voyageur se fait par voie maritime. Paul Arène est la plupart du temps escorté par des militaires, évite les territoires des tribus et se limite à la visite des principales villes de la côte, notant ses impressions sur le paysage, les populations, et les mœurs. Vingt jours en Tunisie fige le temps, offre à ses lecteurs l'occasion de remonter les décades, et de redécouvrir certaines images de la vie d'antan. Venu «à la recherche de l'Orient», aux portes même de la Provence, l'auteur en découvre deux, voire plus. Un «Orient pacifique», qu'il rencontre dans le vieux Tunis. Les «indigènes» des souks, marchands et autres, sont peints dans leur tranquillité séculaire ; que «d'épicerie au fond de ces âmes barbaresques» ! Un «Orient guerrier» également, dont l'image lui est offerte par la présence d'un soldat en poste, un «air férocement débonnaire» qui l'incite à une comparaison avec l'image du «bourreau». C'est que l'auteur était venu à la recherche d'images et de sensations, et qu'il serait vain de vouloir prouver une quelconque corrélation entre une image et la description qu'un auteur aime souvent lui donner ; il suffit d'habitude de vouloir trouver cette image. Parler de Tunis sans évoquer les corolles de jasmin, et toutes ces petites habitudes des «indigènes» revient à ne pas trouver son «Orient». Et voilà que Paul Arène amasse les images d'un Tunis à la fois calme et bouillonnant, séculaire mais par endroits moderne. L'auteur résiste aux petites «envies» de ressembler à la masse bourdonnante, même en portant un mechmoum : «Je n'ose pas faire comme eux» résume-t-il. Cheminant dans les ruelles de la ville arabe, l'auteur émerveillé passe par tous les endroits qui caractérisent cet espace à la fois fermé et ouvert, silencieux et houleux, visible et caché. Indiscret, il s'aventure dans une promenade sur les toits d'où il peut voir l'intérieur des maisons arabes, et déranger la quiétude de femmes endeuillées, avant de se retirer à la vue d'un «indigène» à l'air menaçant, indigné de son indésirable présence. «Allah me gâte et Tunis fait des frais pour moi». «Allah et Tunis» lui offrent les images à la recherche desquelles il a fait cette pénible traversée et supporté cette chaleur suffocante du mois d'août. L'auteur-promeneur s'égare dans la ville, pendant les deux heures que dure sa promenade : «Evidemment je m'égare ; mais cette lumière douce, cette fraîcheur, ce silencieux va-et-vient d'ombres blanches, puisse mon égarement longtemps durer !». S'égarer dans un temps immobile que seules des silhouettes venues d'un passé lointain cadencent, une image classique de la littérature de voyages, répétée à volonté dans Vingt jours en Tunisie. Mais l'égarement prend soudain fin, et l'auteur se réveille de son songe à l'approche de la ville européenne, du bruit, de la poussière, de l'insupportable chaleur, de la «civilisation». Si Paul Arène affirme vouloir parcourir le pays à la recherche de sensations fortes, son comportement relève plus du vulgaire touriste que du poète. Muni de tous les laissez-passer possibles et protégé par la présence souvent notée d'officiers ou de soldats, il se comporte en conquérant indiscret, se permettant d'entrer partout où sa curiosité le guide, et exprimant des impressions dignes de la plus vulgaire des soldatesques. A Kairouan, la remontée du temps perd toute sa poétique et nous révèle un Paul Arène aigri et sarcastique. Le tableau qu'il peint de la ville est on ne peut plus désolant, et s'il s'arrête sur le souk de campagne, c'est pour décrire, dans une langue aussi aride que le milieu environnant, le mouvement des gens et toutes les petites habitudes des marchands. Un avant-goût nous est donné avant la visite à Kairouan, à l'occasion d'un déplacement à Hammam-Lif, où l'auteur décrit les thermes et leurs constructions. Nous découvrons alors son appréciation des «apports» des différentes civilisations : «Si les constructions paraissent romaines, les puces qui y pullulent sont certainement d'importation arabe ; seule la puce arabe peut donner ainsi la sensation d'une aiguille de fin acier s'enfonçant soudain dans la chair». En effet, tout ce qui est arabe est laid, Paul Arène ne cesse de nous le rappeler. Lorsqu'il franchit les murs de la ville sainte, le voyageur annonce une certaine «émotion» à la vue des «murs remarquablement décrépis» de la ville. Il est attiré par la grande mosquée où il se rend directement et se lance dans une description chargée de préjugés culturels comme on en trouve dans toute cette littérature de voyages. Plus désabusé que critique, l'œil de Paul Arène ne voit que laideurs et décadence. Le vocabulaire est ainsi choisi dans un registre caractéristique des polémiques de la plèbe inculte : l'architecture arabe ne serait que «l'art d'accommoder les restes» ; les desseins, «vulgaires», sont le produit «de ces sauvageries maugrabines» et l'œuvre de «la prodigalité fastueuse du pillard armé», tout le reste étant «une poussière d'antiquités». Vingt jours en Tunisie passèrent rapidement, et le poète désenchanté rebroussa chemin vers sa Provence natale. On comprend alors, aux images exposées dans le texte et à la manière de décrire, les raisons de son insuccès. La comparaison avec d'autres textes, comme ceux de Pierre Loti, ne peut que provoquer chez le plus commun des lecteurs, y compris ceux de l'époque, un sentiment de désappointement. ––––––––––––––––––––––– - Paul Arène, Vingt jours en Tunisie (août 1882), Alphonse Lemerre éditeur, Paris 1884, 298 pages.