Dimanche, étaient les adieux à Belghith Sayadi. Une présence nombreuse et émue. « Musicale et amicale » : il ne se reconnaissait qu'en cela, il ne vivait que pour cela. Quarante ans pleins de chansons et une existence toute vouée à l'amitié . Le musicien Belghith Sayadi incarnait un paradoxe rare dans le métier : son répertoire était rare(seule une dizaine de succès),mais son style et son art irradiaient tout un pays, et sa passion d'artiste« emportait tout sur son chemin ». Son parcours débute aux années 70, à travers un passage à «Noujoum el ghad ». C'était un amoureux de l'école syro-libanaise. De la classique montagnarde, la savoureuse « jabalia », celle où s'accordent, comme par magie, intonation « houleuse », modulations et cadences raffinées. A l'époque, Wadie et Nassri Chamseddine étaient les maîtres du genre, mais le plus écouté d'entre tous les ténors était une star récente, une nouvelle idole des publics arabes, le regretté Fahd Ballan. A peine l'a-t-il découvert que le jeune débutant n'a plus juré que par lui. Ce fut le choix d'une carrière. « Wachrah laha », « Ya Salima » et autres mawels d'accompagnement passaient subitement, et pour toujours, de « l'escarcelle » syrienne à celle d'un fan chanteur tunisien. Plus :la parfaite imitation, et un timbre de voix quasiment reproduit. Belgith Sayadi raconte comment Néjib El Khattab lui a présenté Fahd Balan, début 80, et comment après avoir écouté un court extrait de « Salima », Ballan a répliqué : «Je suis le fahd du Chem, tu es le fahd de Tunisie» (traduisez lion !) L'imitation de Fahd Ballan a sûrement joué dans la « modicité » du répertoire personnel de Belghith Sayadi. Nuançons, néanmoins : la poignée de compositions appartenant au chanteur a bénéficié d'une large audience, d'une grande longévité, ainsi que de l'approbation des meilleurs spécialistes. Le meilleur exemple : « Esmallah alik », ancrée dans la veine populaire mais dans le même temps subtilement rattachée à un pur phrasé charqi. Belghith Sayadi a séjourné en Egypte, au Liban et en Syrie. C'était un voyageur « cosmopolite ». Paris le connaît aussi. C'est de là qu'il ramena, en co-production avec un ami, les fameux « qalabess » (nos guignols de début 90) qui déplurent malheureusement aux autorités et firent long feu. Des amis, Belghith Sayadi en eut comme il l'a toujours désiré et mérité. On le qualifiait « d' ami de tout le monde », vrai, mais ça disait peu d'une fidélité et d'une générosité qui n'avaient pas leurs pareilles dans un milieu propice à l'adversité et aux envies. Un cœur d'or, Belghith, fidèle des fidèles, mais encore, un professionnel dévoué à sa profession. Ses collègues en témoignent, on en était témoins ,nous aussi, en « temps de crise » au début de la révolution ,il défendait « bec et ongles » le syndicat des musiciens. Son syndicat. Et il n'en démordra pas, jusqu'à la fin, malgré la fatigue et le mal qui couvaient. Paix à ton âme, l'artiste.Tu nous manqueras tant, l'ami.