La mort inadmissible de 12 nouveau-nés au service de réanimation pédiatrique de l'hôpital Wassila-Bourguiba à Tunis ouvre le débat sur la réforme de tout le secteur de la santé publique. S'agit-il de l'arbre qui cache la forêt ? Certains médecins ont décidé de briser le silence en dénonçant eux-mêmes les dépassements dont ils sont ou ont été témoins. L'initiative « Balance ton hôpital » est lancée. Fallait-il attendre une catastrophe sanitaire pour agir et briser le silence sur les dépassements dans nos hôpitaux ? Des médecins, dont notamment des jeunes, disent qu'il n'est jamais trop tard pour alerter l'opinion publique sur les formes de corruption dans l'un des secteurs les plus sensibles du pays et sauver ce qui reste de son image. Corruption, dépassements, manque d'équipements et de médicaments, abus de pouvoir et mauvais services… Des médecins ont récemment lancé une initiative baptisée «Balance ton hôpital», sur fond de décès en série de bébés prématurés à La Rabta, pour dénoncer les formes de corruption dont ils sont témoins. Le principe est simple : mettre à jour toute forme de dépassement dont on est témoin. Si les réseaux sociaux s'avèrent être parfois des moyens de désinformation ou de manipulation de l'opinion publique, ils contribuent, quand même, au lancement de certaines initiatives de prise de conscience collective pour s'opposer à la corruption et aux abus. C'est dans ce sens que de jeunes médecins ont lancé l'action « Balance ton hôpital » en vue de donner un aperçu réel de ce qui se passe à l'intérieur de nos établissements hospitaliers. Estimant que ce sont finalement eux qui payent la facture de la mauvaise réputation de tout le secteur de la santé publique, ces jeunes médecins ont décidé de riposter en dévoilant des affaires de corruption et des dépassements dans leurs établissements. A travers des statuts Facebook, ces jeunes « balancent » sur les conditions catastrophiques dans lesquelles ils exercent. Certains ont même témoigné d'établissements hospitaliers infestés de rats alors que d'autres affirment que des hôpitaux connaissent des problèmes de coupure d'électricité répétitifs, ce qui menace le bon déroulement des opérations chirurgicales. En effet, dans leurs publications, ces médecins ont exprimé leur ras-le-bol face à la dégradation du système de la santé publique, témoignant ainsi des états lamentables des hôpitaux qui semblent être livrés à eux-mêmes, en l'absence de tout contrôle ou décision politique à même d'améliorer la situation. Un hôpital sans Bétadine ! N.C., interne à l'hôpital Tahar Sfar à Mahdia, raconte ses mésaventures professionnelles au sein de son établissement hospitalier, qui connaît un manque accru d'équipements et de médicaments de base. « Durant une garde en service chirurgie générale au sein d'un hôpital universitaire qui irrigue je ne sais combien de régions, on se retrouve sans Bétadine, zéro stock. Et quand tu en demandes, tu te fais vivement rabrouer et on te répond sans ménagement et avec rudesse qu'on vous en a déjà délivré un flacon la veille », témoigne-t-elle. Pour sa part, A.B. médecin tunisien ayant quitté le pays pour la France, où il exerce à l'hôpital Bichat Claude-Bernard à Paris et l'un des initiateurs de ce mouvement, livre un témoignage sans appel sur l'état des lieux des établissements hospitaliers en Tunisie. « Lors de mon passage à l'hôpital Ibn Jazzar à Kairouan, et lors d'une réunion de négociation avec le directeur de l'hôpital, on nous a clairement signifié que le ministère ne peut plus accorder de budget complémentaire. On doit choisir entre ne plus acheter certains médicaments, consommables ou produits de nettoyage, ou virer du personnel qui est déjà en manque », révèle-t-il. Et de poursuivre que les gardes des médecins, des infirmiers et des techniciens n'ont pas été payées depuis plusieurs mois. «On n'a pas payé la Steg et la Sonede depuis des mois, et si on ne paye pas le mois prochain, on nous coupera l'eau et l'électricité dans tout l'hôpital», poursuit-il. Commentant cette initiative qui commence à faire bruit, Jed Henchiri, président de l'Organisation tunisienne des jeunes médecins, a affirmé qu'il ne s'agit pas de la première action de ce genre, et que les médecins ont toujours dévoilé les dépassements par tous les moyens. «On a tout essayé et tout fait pour dénoncer les formes de corruption dans nos hôpitaux, l'objectif étant de déterminer les responsabilités pour pouvoir opérer les réformes nécessaires. Nous, les jeunes médecins, nous nous engageons à briser l'omerta», a-t-il affirmé. Si les jeunes médecins ont commencé à agir pour dénoncer la situation, c'est parce que ce drame national est considéré comme étant l'épisode le plus douloureux du processus de dégradation, pour ne pas dire l'effondrement du secteur de la santé publique et qu'il est par conséquent inadmissible de continuer à ignorer l'obligation d'entamer les grandes réformes dans ce secteur.