Par Khalifa Chater Traversant une conjoncture difficile, confortée par le blocage du processus de paix, l'aire arabe doit faire face à des défis structurels et conjoncturels sérieux. Conscient de la gravité des enjeux, le Sommet de Syrte s'est montré soucieux de dynamiser la Ligue arabe et de renforcer ses mécanismes d'exécution. Dans ce contexte, il mit à l'ordre du jour le développement du partenariat arabe avec l'Afrique et celui des pays du voisinage. Le projet d'une «Ligue de voisinage arabe», qui inclurait des pays comme l'Iran et la Turquie, présenté au Sommet de Syrte par Amr Moussa, suscita un riche débat. On a pris, vraisemblablement, acte du changement du paysage politique par l'effet de la dynamique régionale qui a induit une perception d'une aire arabe qui transgresse ses frontières. Le report de l'adoption ne peut être expliqué uniquement par les divergences géopolitiques. Projet d'envergure, il nécessitait une réflexion approfondie. En fait, la politique de voisinage ne pouvait réformer le pacte fondateur de la Ligue des Etats arabes, ni changer sa composition ou ses objectifs. L'inscrire comme une alternative à l'action nationalitaire pouvait être considéré comme une «fuite en avant», au mieux, une pause de réflexion. Certains diraient une tactique de repli par un processus d'élargissement ! Prenons l'exemple de la politique de voisinage de l'Union européenne, elle élargit le champ de sa coopération sans abandonner ses prérogatives essentielles, sans se démettre. La politique de voisinage de la Ligue des Etats arabes permettrait de développer un partenariat de solidarité, identifier de multiples champs d'action politiques, économiques et culturelles. Mais il ne peut s'agir d'intégration. Cette politique de voisinage doit, d'ailleurs, s'accommoder des divergences entre les partenaires : l'Iran, la Turquie et les acteurs arabes, leur prise en compte de leurs intérêts et les centres concentriques de leurs aires d'influence et d'intervention. La révision de la politique iranienne après la chute de la monarchie et la nouvelle politique turque en faveur du monde arabe constituent des arguments importants pour tisser un réseau de liens au profit de tous. Ainsi défini, en tant que partenariat de solidarité, ce processus est inscrit dans les faits et dans l'opinion arabe. Dans cet ordre d'idées, le développement ou plutôt la réactualisation du partenariat avec l'Afrique serait d'un apport précieux. Nous constituons, ensemble, une aire de solidarité. D'ailleurs les pays du Maghreb et l'Egypte appartiennent aux deux aires arabe et africaine. Le Sahara constituait un relais semblable aux mers et aux océans, puisque le dromadaire était appelé le vaisseau du désert. Mais la colonisation a érigé le Sahara en frontière, coupant les ponts d'antan, les remplaçant par des rapports asymétriques entre les métropoles et les colonies. La fin de l'ère postcoloniale et la promotion, depuis lors, des souverainetés africaines induisent un changement de perspective au profit du partenariat arabo-africain. Bien entendu, le développement des partenariats ne devrait pas dispenser l'establishment de la Ligue des réformes qui paraissent indispensables. Miroir certes des Etats arabes, la Ligue traduit leurs relations différentielles, vu la démarcation géopolitique du Moyen-Orient. Mais le système générique de la coopération arabe est appelé à réactualiser l'ensemble de ses mécanismes et de ses modes d'action. Ne faudrait-il pas s'adapter à la nouvelle conjoncture internationale et à la carte géopolitique arabe actuelle ? Nous pensons, en effet, que "l'ordre arabe" actuel a mis sur un pied d'égalité les différents pays arabes ou presque. Il est appelé à instituer la collégialité dans la prise de décision et à créer les mécanismes de l'action politique collective. Cette approche implique la concertation et la construction du compromis pour identifier la politique communautaire à adopter et l'adaptation des instances de la Ligue à cet effet. Bien entendu, la conjoncture actuelle a fait valoir les options réalistes et la diplomatie rationnelle qui constituent, semble-t-il, les dividendes positifs d'une décennie d'épreuves. Peut-être faudrait-il également remarquer le rééquilibrage de l'ordre arabe, vraisemblablement au profit du Maghreb, dans le cadre de l'homogénéisation de ses options internationales, la distanciation modératrice de ses positions au sein de la famille arabe, sans oublier la complémentarité de son économie fondée sur l'exploitation des hydrocarbures, avec une production agricole et industrielle importante. Peut-on parler du temps du Maghreb !