Par Khalifa Chater La lecture de l'actualité au Moyen-Orient atteste une recomposition du paysage géopolitique, marquée par une volonté de consultation, de concertation et d'apaisement. Les rencontres diplomatiques récentes (Sommet arabe de Syrte, entretiens du Premier ministre sortant El-Maliki, à Damas, Amman et Téhéran, sommet El-Assad/Abdallah à Ryad) montrent que l'aire arabe met à l'ordre du jour son souci d'entente et de construction de compromis opératoires. Ces faits ont été souvent occultés par les journalistes étrangers plus soucieux de rechercher des scoops et de définir certaines rencontres diplomatiques comme des “provocations”. Une lecture critique de telles informations s'impose pour revenir aux normes et prendre les distances par rapport au monopole du récit médiatique, particulièrement en ce qui concerne le Moyen-Orient. Les médias, volontiers sous influence, traduisent les rapports géopolitiques. Il ne s'agit pas nécessairement de manipulations de l'information. Mais des effets des approches européocentristes, confortées par la prise en compte des intérêts dominants. Or, l'information est, bel et bien, une donnée stratégique. Citons, dans cet ordre d'idées, ce diagnostic hâtif d'un observateur géopolitique : “Cette réalité n'est plus celle d'un affrontement entre Israéliens et musulmans mais, bien plutôt, entre deux nouveaux camps – d'une part les régimes sunnites, Israël et l'Autorité palestinienne et de l'autre, l'Iran, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien et la Syrie…” (Bernard Guetta, Chronique géopolitique, France inter, jeudi 14 octobre 2010). Nous n'occultons certes pas l'existence d'une démarcation géopolitique des pays arabes du Moyen-Orient. Elle résulte, dans une large mesure, d'un processus interne d'évaluation de la situation, des rapports de forces régionales et internationales et des options idéologiques (discours politiques, relations avec les USA et l'Iran, identification des modes de traitement de la question palestinienne etc.). Mais rien ne permet d'affirmer, en dépit d'une géopolitique différentielle, une valorisation de l'opposition interarabe et une occultation du différend avec Israël. Faisons la différence entre les constantes et les variables, les positions de principe, les attitudes conjoncturelles et parfois les états d'âme. Constante d'évidence, tous les Etats arabes restent attachés à la défense de la “cause sacrée” de la Palestine. Ils demandent la libération de l'ensemble des territoires occupés en 1967 et condamnent l'occupation et la colonisation. La démarcation concerne davantage le mode de traitement de la question et l'identification des alliances internationales ou régionales à mettre en œuvre. Mais le rejet israélien du processus de paix a bien rapproché les points de vue. Les positions des gouvernements successifs de Tel-Aviv, après Madrid (1991-1993), Oslo (1993- 2000), Annapolis (2008), New York (2009) et Washington (2010) et leurs manœuvres dilatoires ont montré, comme faits d'évidence, que les Arabes jouent seuls la carte de la paix. Ce qui nécessite un réexamen diplomatique et stratégique global. Le sommet arabe de Syrte, le 9 octobre s'est réuni, dans ce contexte, pour faire face au défi du vis-à-vis. Il a, en conséquence, étudié ces thèmes prioritaires : l'évolution de l'action arabe commune, la réforme du système de la Ligue arabe, ainsi que l'Initiative de politique arabe de bon voisinage avec les pays et régions limitrophes. Adoptant la position du comité du Suivi de l'Initiative arabe, le sommet avait annoncé son soutien à la position palestinienne refusant la reprise des négociations, en cas de la continuation de la colonisation. D'autre part, il a engagé des concertations sur une stratégie alternative, pour ouvrir de nouvelles perspectives. Il a ainsi pris ses distances vis-à-vis de l'agenda américain. Le délai d'un mois supplémentaire qu'il a accordé à la direction américaine pour relancer les négociations atteste que le rejet de la négociation n'est pas son fait et qu'il ne remet pas en cause le préjugé favorable, qu'il a accordé au Président Obama. Rejetant les positions de surenchère, les Etats arabes font valoir, en dépit des défis de l'occupation et de la non-reconnaissance des droits, qu'ils sont des hommes de dialogue, de paix et de respect des résolutions onusiennes, qui légitiment leurs positions. Le report de la discussion du projet présenté par Amr Moussa, sur la création d'une ligue régionale de voisinage pour le sommet prochain, atteste certes des différences de vue sur les alliances prioritaires. Mais l'aire arabe reste unanimement hostile à une guerre contre l'Iran, qui remettrait en cause les équilibres fondateurs et déstabiliserait la région. Fut-elle mise en exergue par les protagonistes occidentaux, la menace du nucléaire iranien reste peu crédible, par rapport à la politique de dissuasion d'Israël, détenteur autorisé de la bombe. La rencontre au sommet de Ryad, le 17 octobre, d'El-Assad/Abdallah, dont les positions différentielles marqueraient “la démarcation géopolitique” annoncé par les observateurs, atteste cette volonté de dialogue et de concertation entre les différents partenaires, transgressant toute démarcation. Cette volonté des “pôles” géopolitiques d'affirmer des positions de consensus et de construire des compromis montre que ce qui rapproche les Etats arabes, reste plus important que ce qui les sépare. Poursuivant le processus engagé lors de leur sommet de Beyrouth, fin septembre 2010, Ryad et Damas œuvrent pour un apaisement au Liban, s'érigeant en “garants” de sa stabilité. Evidemment, le Sommet a échangé ses points de vue sur la question palestinienne et les problèmes de la région, y compris l'Irak où la formation d'un gouvernement divise les acteurs. Les entretiens du Premier ministre sortant Al-Maliki, à Damas, le 13 octobre, à Amman, le 17 octobre et à Téhéran, le 19 octobre, montrent l'impact de l'entente arabo-musulmane sur la stabilité de l'Irak, où la guerre “n'est ni terminée ni gagnée” (Patrice Claude, Le Monde du 24 août 201O). Tous les pays voisins de l'Irak restent soucieux de son unité et de sa stabilité. Les consultations du Premier ministre sortant Al-Maliki montrent que l'Irak fait valoir sa souveraineté, s'affranchissant de sa mise en dépendance, depuis l'occupation. Les médias européens ont volontiers qualifié la visite du Président iranien au Liban comme une provocation. Certains avaient même affirmé qu'il s'agirait d'une “déclaration de guerre par procuration” contre Israël sinon l'Occident. Plus lucide, Joseph Bahout, chercheur au CERI-Sciences Po, spécialiste du Liban, estime que la venue du président iranien cette semaine visait à calmer les tensions internes au Liban (site de l'Express). Fait significatif, Ahmadinejad avait pris soin de passer, juste avant de venir au Liban deux coups de téléphone, “pour le moins inhabituel de sa part” : il appela les rois Abdallah d'Arabie Saoudite et Abdallah de Jordanie, deux monarques sunnites peu suspects de sympathie pro-iranienne. Ahmadinejad “a plutôt voulu affirmer qu'il tenait à être associé au «pacte de stabilité» que la visite à Beyrouth d'Abdallah d'Arabie et du syrien Bashar Al-Assad a cherché à établir cet été” (Georges Malbrunot, Le Figaro, 15 octobre 2010). Ces velléités d'entente entre pays arabes et ces processus de rapprochement avec les puissances régionales voisines, l'Iran et la Turquie indiquent une volonté de coopération, transgressant les idéologies et réactualisant les références pour mettre à jour la solidarité, face aux défis.